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aujourd’hui, ce royaume, d’étendue restreinte, mais riche et prospère, incarne en lui une race disséminée dans ce vaste Océan-Pacifique, dans cette voie lactée d’îles sans nombre, il le doit en partie à cette politique respectueuse des droits des petits, sympathique et sage.

En moins d’un siècle, l’archipel havaïen amassé de la plus profonde barbarie à un degré de civilisation remarquable. Roi constitutionnel, David Kalakaua gouverne son royaume avec un ministère responsable devant une chambre des nobles et une chambre élue par le suffrage universel. Le pays est fertile, les finances bien administrées, la sécurité absolue. On n’y trouverait pas un homme ou une femme ne sachant lire, écrire et compter.

Contraste saisissant entre ce qui fut et ce qui est, entre ces idoles et ces fétiches et ces photographies de temples chrétiens ; entre ces huttes de feuillages et ces luxueuses demeures de riches planteurs ou d’opulens banquiers ; entre ces primitifs canots à balancier et ces bâtimens à vapeur qui relient Honolulu, capitale de l’archipel, à San-Francisco, à l’Australie, au Japon ; entre ce village de pêcheurs, occupé il y a un demi-siècle par des sauvages nus et bronzés, et cette ville de 20,000 habitans, aux rues éclairées par l’électricité, sillonnée par des tramways et des fils téléphoniques, déployant, sous l’épaisse verdure des tropiques et un incomparable climat, sa flore merveilleuse, ses jardins et ses parcs, ses hôtels et ses monumens. Ici encore nous retrouvons le sucre, principale richesse de l’archipel, le café, le riz. Ici encore et surtout, nous constatons l’impulsion donnée à l’instruction publique, impulsion trop rapide peut-être et qui, développant plus d’ambitions que le pays n’en saurait satisfaire, a failli, il y a quelques mois, mettre en péril la stabilité du gouvernement. De cette épreuve aussi le pays est sorti à son honneur ; et le bon sens public a fait justice des folles visées de jeunes novateurs élevés aux frais de l’état, on Europe, et désireux de conquérir le pouvoir par un hardi coup de main.

Là n’est pas le danger : il est dans ce développement rapide qui a fait de l’archipel havaïen l’un des plus prospères de l’Océanie, dans sa situation géographique qui en fait la clé de l’Océan-Pacifique du Nord, le point de relâche et de rencontre des nombreux paquebots qui, de San-Francisco, en Australie, au Japon, en Chine, s’y croisent et s’y ravitaillent. L’ombre de la grande république américaine s’étend sur ce petit état, qui, commercialement, vit de sa vie, lié d’elle par des traités de réciprocité qui l’enrichissent, et dont la dénonciation peut porter un coup terrible à son industrie. L’annexion assurerait sa fortune, mais détruirait son indépendance. Absorbé par les États -Unis, il verrait promptement