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toujours, de leur part, à quelque emportement ou à quelque saillie. Auprès du berceau de l’enfant qui serai le comte Gabriel de Mirabeau, au château du Bignon, dans le Gâtinais, le 7 mars 1749, se pressent trois personnes, dont deux au moins exerceront, sur sa destinée une influence décisive. D’abord, la grand-mère, Mlle de Castellane, la veuve de l’héroïque marquis Jean-Antoine, laissé pour mort au combat de Cassano, où toute l’armée du prince Eugène lui passa sur le corps, guéri contre toute attente, et si bien guéri qu’il eut depuis sept enfans. Dans la maison de son fils, la vénérable aïeule est entourée de tous les respects en même temps qu’elle y jouit d’une autorité incontestée. Seulement, elle se mêle peu au reste de la famille ; elle ne se familiarise avec personne, elle tient à distance ses petits-enfans aussi bien que les étrangers. Les habitudes de piété austère qui l’absorbent lui rendent impropre au rôle d’éducatrice. Il ne faut pas compter sur elle pour former le caractère du jeune comte ; elle le verra trop peu et de trop loin. Le chef de la maison, le père de l’orateur, était au contraire un éducateur passionné. M. Louis de Loménie nous a fait connaître à fond ce personnage extraordinaire, qu’on ne connaissait guère auparavant que par le bruit qui s’est fait autour de l’Ami des hommes et par l’éclat de ses démêlés avec son Dis. Nature puissante, mais peu équilibrée, le marquis de Mirabeau était plus capable de concevoir et d’exprimer des idées que de les mettre à exécution. Sa vie se consume en efforts que les événemens déconcertent. Son imagination a des visées grandioses et en même temps systématiques auxquelles ne se plie pas, en général, la nature des choses. Avant tout, et dès sa jeunesse, il est possédé du désir d’augmenter l’héritage qu’il a reçu de ses ancêtres, de laisser à ses descendans une grande situation sociale. C’est pour cela qu’il abandonne le service à vingt-huit ans, afin d’épouser une fille unique et une riche héritière, Mlle de Vassan. Malheureusement pour lui, la succession de Mme de Vassan se fit longtemps attendre ; et, quand elle s’ouvrit, sa femme, brouillée avec lui, la réclama tout entière. Il eut donc tous les inconvéniens d’un mariage mal assorti, sans en recueillir les avantages.

En 1749, au moment où naquit Mirabeau, le ménage n’était pas encore désuni. Onze enfans se succédaient même, comme pour témoigner, disait le marquis, « de la sorte d’attachement turbulent dont sa femme le faisait enrager. » Mais le caractère de Mlle de Vassan, son inégalité d’humeur, ses emportemens, ses violences, le désordre de sa tenue et de sa toilette, détruisent peu à peu la paix du loyer domestique. Avec une femme pareille, le rêve du marquis, celui de consolider et d’agrandir sa maison, ne se