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qu’il venait de remporter. Il sortait de l’audience, non en vaincu, mais en triomphateur, il savourait la jouissance d’avoir enfin montré et déployé son talent. Célèbre jusque-là par les aventures scandaleuses de sa jeunesse, il acquérait une célébrité plus relevée par le double succès que venaient d’obtenir ses mémoires judiciaires à Pontarlier et son éloquence à Aix. Le retentissement du procès, le bruit qui se faisait autour de son nom, n’étaient pas non plus de nature à lui déplaire. En attendant la gloire, il entrait dans la popularité : « C’est uniquement ce qu’il a en vue, disait son père, et de cette race extravagante il n’y en a aucun dont le de physique ne soit de regarder comme un triomphe le jour où ils sont pendus, parce qu’il a été question d’eux. » Le marquis commençait à s’effrayer du murmure de l’opinion publique et du cri universel qui retentissait, disait-il, à ses oreilles : « N’entendrons-nous jamais parler que de cette race effrénée des Mirabeau ? » Son fils, tout entier à la joie de rentrer avec éclat sur la scène du monde, après de longues années d’emprisonnement, n’avait ni les mêmes frayeurs ni les mêmes scrupules.

Si l’issue du procès avait été différente, si Mirabeau s’était rapproché de sa femme, il aurait pu reprendre son rang dans la société et retrouver au loyer conjugal la paix d’une vie régulière. Tel était l’espoir du marquis et de l’excellent bailli, qui, dans cette campagne judiciaire, avait soutenu son neveu de toute l’autorité de son caractère et de tout le poids de sa fortune : « Si cet homme, disait le chef de la famille, avait une femme non gâtée, ou seulement sensée, elle en ferait ce qu’elle voudrait. » Le jugement prononcé coupait court à ces espérances. Par la perte de son procès, Mirabeau allait être rejeté dans tous les hasards d’une vie aventureuse et besogneuse. Hors d’état de satisfaire à ses goûts de dépense avec le modique revenu qui lui restait, il en était réduit encore une fois à vivre d’expédiens ou à intenter des procès à un père dont il avait précipité la ruine. Il ne trouvait même pas un asile dans la maison paternelle, qui lui fut impitoyablement fermée quand il revint à Paris. Pendant cinq ans, les communications du père et du fils se borneront à des envois mutuels de papier timbré.

La comtesse de Mirabeau, qui avait l’âme plus frivole que méchante, regretta plus tard de n’avoir pas joué dans la vie de son mari le rôle bienfaisant qu’on lui réservait. Quand elle le vit entouré de gloire, elle eût voulu le rejoindre. Les habitans du pays l’en pressaient. Les paysans des environs d’Aix la suppliaient de partir : « C’est une trop belle race, lui disait-on, ce serait péché qu’elle manquât. » — « vous savez sans doute, écrit un Provençal à Mirabeau, que Mms la comtesse veut retourner absolument dans