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artistes Scandinaves viennent faire leur éducation technique à Paris ; ils y conservent d’ordinaire, dans les premières années, une verdeur native qui se manifeste, lors de leurs débuts au Salon, par des éclats d’une originalité saisissante. C’est ainsi que nous avons tous été charmés et surpris par les premières œuvres, si individuelles et si délicates, de MM. Salmson et Hagborg, Smith-Hald et Edelfelt ; mais, si un premier contact avec les ateliers parisiens est utile aux septentrionaux pour leur apprendre le métier et leur donner le tour de main, on ne saurait dire qu’un séjour prolongé aux Batignolles, encore moins qu’une résidence définitive leur soit en général aussi favorable. Il se passe pour eux ce qui s’est passé, pendant plusieurs siècles, pour les Flamands et les Français allant travailler à Rome ; il était bon d’y faire ses études, il était dangereux de s’y éterniser. Après nous avoir communiqué ce qu’ils apportaient de chez eux, ces Scandinaves s’absorbent en nous et perdent peu à peu, dans cette absorption, leurs qualités premières, sans s’assimiler suffisamment les nôtres. Certes, le talent des quatre artistes dont nous parlons est encore en pleine floraison ; les Communiantes dans un verger, les Fleurs du Printemps, par M. Salmson, forment un concert exquis de vaporeuses fraîcheurs blanches, roses et vertes ; M. Hagborg possède toujours ce sens des limpidités atmosphériques qui donne tant de charme à sa Grande Marée, M. Smith-Hald comprend toujours en poète la solitude et la mer, M. Edelfclt exécute ses portraits vivans et souples avec une désinvolture de plus en plus facile ; mais il faut bien reconnaître qu’à force de peindre des paysans français, des sites français, des modèles français, ils cessent assez rapidement d’être Suédois, Norvégien, Finlandais ; et que leur première originalité, un peu âpre et pleine de saveur, se tourne peu à peu en une virtuosité courante qui ravit les amateurs superficiels et les marchands de peintures, mais qui désole tous ceux qui comprennent l’art comme une révélation incessante de sensations neuves et de sentimens personnels.

L’Exposition universelle nous apporte les œuvres d’un petit groupe nouveau d’artistes suédois qui ont dû faire aussi leur apprentissage à Paris ; quelques-uns en portent déjà les marques trop apparentes, quelques autres paraissent décidés à conserver leur façon particulière de voir et de comprendre, ce dont nous ne saurions trop les féliciter. Les artistes, comme les poètes, ne sont-ils pas faits pour protester contre ces absurdes théories, heureusement irréalisables, qui rêvent le nivellement intellectuel et l’uniformité physique et morale pour toutes les nations civilisées ? C’est à eux à nous conserver, à nous révéler, à nous poétiser les particularités fatalement persistantes de leurs pays, de leurs races,