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politiques ; d’autres principes, produits d’une philosophie nouvelle, les ont remplacés dans les intelligences directrices. Chacun se demande ce qui sortira de l’évolution attendue ; les uns la croient imminente, d’autres la voient moins prochaine ; mais il n’est pas douteux que la force plastique fera son office une fois de plus, qu’elle façonnera des institutions en harmonie avec les idées régnantes.


II

Si rien ne devait amender ces idées, nous ne gagnerions pas au change. Qu’on relise les articles du symbole scientifique ; ils semblent inventés pour servir de préambule au code du despotisme et de la violence ; ils peuvent justifier toutes les férocités de l’égoïsme, tous les caprices de la force heureuse. Transportée du domaine de la science sur le terrain des faits sociaux, l’expérience concluante s’appelle le succès ; et cette équivalence tend en effet à s’établir dans les esprits. Notre philosophie de la nature, dernier effort d’une civilisation raffinée, le Grand Turc l’appliquait sans la connaître, quand il y avait encore un Grand Turc. Le rêve métaphysique du siècle passé proposait aux hommes un idéal irréalisable ; il leur a procuré quelque allégement, au prix de l’anarchie, de l’instabilité, d’un excès d’individualisme incompatible avec la garantie sociale et la grandeur nationale. Le réalisme physique de notre siècle ramène les hommes à la stricte imitation de la nature ; il rétablirait un ordre sommaire, au prix de la servitude, du fatalisme, d’un retour à la vie animale du troupeau. Pour conjurer ces conséquences, il faudrait que la nouvelle théorie des rapports humains fût complétée par le correctif qui a manqué à l’ancienne ; il faudrait qu’un principe moral, représentant la réaction de la conscience contre la dureté des lois naturelles, vint adoucir ce qu’il y aurait d’intolérable dans une législation inspirée par les seuls enseignemens de la physiologie. Ce principe moral, faute duquel la Déclaration des droits pend dans le vide avec tout ce qui est sorti d’elle, ce principe qui peut seul donner un fondement solide à la notion du devoir, on le chercherait en vain dans tout le monde des idées rationnelles : l’humanité ne l’a jamais ressaisi que dans le fort où il réside, dans le sentiment religieux.

Je ne viendrais pas à ce sujet s’il ne donnait lieu à une constatation de fait ; elle doit trouver place dans notre rapide enquête sur quelques tendances du temps présent. — A côté du grand courant qui emporte les esprits, depuis tantôt un quart de siècle, vers le réalisme théorique et pratique, les spectateurs attentifs ont vu naître, durant ces dernières années, un courant contraire en