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solide et si agréable de M. Rothan, qui a sur le diplomate saxon l’avantage d’avoir jugé Napoléon III avec plus d’équité et en véritable historien. Personne n’a mieux exposé que lui les erreurs de ce souverain, mais il a tenu à montrer aussi ce qui se mêlait d’illusions humanitaires à ses ruses et à ses faux calculs. Le comte Vitzthum ne voit dans l’empereur, selon sa propre expression, « qu’une grande araignée étendant partout les fils de sa toile, où il a fini par se prendre lui-même. » Il ne nous dit pas que cette araignée avait une imagination généreuse, qu’elle s’était fait un certain idéal de la civilisation, du droit public au XIXe siècle. Napoléon III n’admettait pas qu’on traitât les peuples comme des troupeaux ; il sentait vivement la nécessité de les consulter en réglant leur sort ou de leur faire agréer le régime qu’on leur impose. On peut être certain que, si jamais il avait conquis les provinces rhénanes, il les eût traitées tout autrement que l’Allemagne ne traite les malheureuses populations de l’Alsace-Lorraine. Il a toujours pensé que, si la force a des droits, elle a aussi des devoirs à remplir, et qu’elle se déshonore quand elle y manque.

A son machiavélisme, dont il a tiré peu de profit, Napoléon III joignait une sorte de romantisme politique qui l’a fait tomber dans plus d’un piège. La politique romantique conduit fatalement aux déceptions. Elle aime les coups de théâtre et sacrifie souvent la pièce au décor ; tout lui semble possible, elle prête aux choses une souplesse, une promptitude d’obéissance qu’elles n’ont que dans les rêves ; emportée par son goût pour les improvisations brillantes et hâtives, elle néglige de préparer ses entreprises ; elle oublie que le monde appartient aux habiles, et, comme le dit le proverbe italien, aux inquiets, toujours attentifs, à ceux qui, dormant peu, sont tout entiers à leur affaire : il mondo è de’ solleciti.

Il est difficile de dire si l’empereur a été plus desservi par ses qualités ou par ses défauts, s’il s’est nui davantage par d’astucieux projets, qu’il était incapable d’exécuter, ou par les entraînemens d’une sympathie inconsidérée qui lui a fait sacrifier plus d’une fois ses intérêts à ceux d’autrui. C’est ainsi qu’au lendemain de Sadowa, après l’amère déception que lui avait attirée sa politique allemande, il usait de ce qui lui restait d’influence pour protéger la Saxe humiliée et battue contre les convoitises du vainqueur, sans que la France eût rien à gagner dans cette affaire. Il est vrai que M. Vitzhum s’efforce d’atténuer, de rabaisser, de contester le service rendu par l’empereur au roi Jean, qui avait sollicité ses bons offices. M. de Beust s’en est expliqué tout autrement dans ses mémoires : il jugeait que l’intervention française avait sauvé la Saxe. « Avec quelque chaleur, écrivait-il, que du côté de l’Autriche on s’entremit en faveur de la monarchie saxonne, celui qui au jour des négociations-de Nikolsbourg a vu comme moi au Ballplatz