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nous donnons à M. de Bismarck le temps de refaire son armée, qui doit avoir diablement souffert, nous sommes perdus, et c’est nous qui payerons les pots cassés. » De son côté, notre chargé d’affaires à Londres, le baron Baude, s’écriait avec un singulier sans-gêne : « Ils sont à Paris dans une fichue position. » L’empereur ne vivait plus que de prestige, et ce prestige s’était évanoui dans les fumées d’un champ de bataille où il ne s’était pas battu. On attribuait au roi de Prusse ce mot aussi caractéristique que l’exclamation du baron Baude : « Que Napoléon est devenu petit ! Personne ne le craint plus, nous surtout. » Cri de soulagement d’un homme qui, après avoir pris un épouvantail au sérieux et en avoir eu grand’peur, le reconnaît pour ce qu’il est, en constatant que les maraudeurs ont pu piller le jardin sous ses yeux sans qu’il bougeât.

Une femme d’esprit avait dit à M. Vitzthum « que quand la vertueuse Autriche se résolut enfin à accorder ses faveurs à Napoléon III, elle eut affaire à un Abélard… après l’opération. » Il est permis de douter que ce fût par un scrupule de conscience que la vertueuse Autriche eût refusé si longtemps ses faveurs au neveu du grand Napoléon. Il en est des gouvernemens comme des particuliers, ceux qui manquent d’industrie se font une vertu de leur maladresse, mais le monde ne s’y trompe pas. Il faut avouer pourtant que la politique embarrassée de l’Autriche trouvait son excuse dans les embarras d’une situation difficile et compliquée. Depuis la malheureuse guerre de 1859, cette vaste monarchie, composée d’élémens hétérogènes, ne pouvait plus subsister telle qu’elle était ; il fallait tout changer, et on ne savait comment s’y prendre.

On était résolu à se rattacher les provinces non allemandes, mais elles étaient fort exigeantes. Les Hongrois surtout se montraient intraitables ; ils demandaient de grandes concessions et refusaient d’en faire. Dès le commencement de 1866, l’empereur François-Joseph était déterminé à se faire couronner comme roi de Hongrie. On inclinait déjà vers le système dualiste qui fut adopté depuis ; restait à découvrir le mode d’exécution. On se pliait aux circonstances, on renonçait à ses vieilles prétentions et à ses habitudes séculaires, mais on entendait que l’armée et les affaires extérieures demeurassent sous la dépendance du gouvernement central. Les faiseurs de projets, les donneurs d’avis abondaient ; auquel fallait-il entendre ? On désirait le maintien du statu quo en Allemagne jusqu’à ce que les difficultés intérieures fussent réglées ; n’avait-on pas besoin de la paix pour arranger son ménage ? Tout serait devenu plus facile si on avait trouvé dans le roi de Prusse un allié suret fidèle ; mais cet allié était le plus dangereux, le plus perfide des ennemis. Il se souvenait d’Olmütz et méditait sa revanche.