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presque capitale pour l’histoire des idées de Rousseau, pour la connaissance du caractère ou de la politique de Voltaire, et pour l’histoire même du mouvement philosophique au XVIIIe siècle, si, comme Condorcet l’assure, « le Sermon des cinquante est le premier ouvrage où M. de Voltaire, qui n’avait jusqu’alors porté à la religion chrétienne que des attaques indirectes, ait osé l’attaquer de front. » Et, en réalité, sur ce point particulier, je crois que Condorcet se trompe ; mais s’il se trompe, c’est faute justement de connaître assez bien la Bibliographie des œuvres de son maître ; et nous, si nous sommes en mesure de rectifier son erreur, c’est qu’après cent ans écoulés, nous commençons à la connaître mieux.

Nous ne saurions donc trop remercier M. Georges Bengesco du service qu’il vient de rendre à l’histoire de la littérature française en composant une Bibliographie des œuvres de Voltaire, dont l’intérêt, pour être autre et moins piquant au premier abord, n’est pas moindre que celui des Études sur Voltaire, de M. Gustave Desnoiresterres, ou des précieux commentaires de Beuchot dans sa monumentale édition des Œuvres. Ce que d’ailleurs les bibliographes de profession pourront penser des trois volumes présentement parus de l’ouvrage de M. Bengesco, ce qu’ils y trouveront à reprendre ou à critiquer, je l’ignore ; et même je ne veux pas le savoir. Mais ce que je puis dire, comme sachant un peu les difficultés et surtout l’étendue de la tâche, c’est que, pour aucun de nos grands écrivains, nous n’avons de Bibliographie comparable à celle de M. Bengesco. Le savant et laborieux auteur lui-même de la Bibliographie cornélienne, M. Émile Picot, ne m’en démentirait pas au besoin. Heureux en éditeurs, et heureux en biographes, car depuis Condorcet jusqu’à M. Desnoiresterres presque toutes les biographies de Voltaire participent de l’intérêt de sa vie, — ce qu’on ne pourrait pas dire des biographies de Rousseau, — Voltaire ne l’aura pas été moins en fait de bibliographe.

On peut diviser l’œuvre entière de Voltaire en trois parts d’inégal volume, d’inégale importance, et d’inégal intérêt. La première, et à tous égards la moins considérable, s’enfonce tous les jours plus profondément dans l’oubli : on peut prévoir avec assurance que de son Théâtre entier, — qui ne fait pas moins d’une cinquantaine de tragédies, de comédies, d’opéras, — et de ses Poésies, il ne surnagera plus dans quelques années, que Zaïre, une douzaine d’épigrammes, autant de madrigaux, et quelques vers passés en proverbes. La troisième, — c’est la Correspondance, — est aujourd’hui la seule, ou à peu près, que l’on lise ; et, au fait, quand on la lit bien, quand on sait la lire, car il y faut tout un apprentissage, on y retrouve tout Voltaire, et les plus fameux de ses contemporains avec lui. Mais la seconde, — les Histoires et les Contes, le Dictionnaire philosophique et les Mélanges, les Mélanges