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n’était pas encore passée tout entière aux philosophes et à l’opposition. On s’en était bien aperçu, dans les premiers jours de l’année précédente, où l’attentat de Damiens avait ramené à Louis XV presque autant de sympathies qu’en avait jadis émues, douze ou treize ans auparavant, la nouvelle qu’il était malade et mourant à Metz. D’un autre côté, l’interminable querelle du jansénisme venait alors de s’éteindre ou de se transformer. En dépit des convulsionnaires et du ridicule ou de l’odieux qu’ils avaient jeté sur la religion, la société française, légère dans ses mœurs, cynique en ses propos, semblait ne l’être qu’en surface, et demeurer vraiment chrétienne en son fond. Ceux que l’on commençait d’appeler les philosophes, tous pauvres, tous-inconnus, tous étrangers à l’usage du monde ; d’Alembert, Diderot, Rousseau, scandalisaient l’opinion, l’étonnaient, si l’on veut, mais ne Savaient pas encore convertie. Il fallait pour cela l’espèce de persécution, plus apparente que réelle, mais maladroite surtout, dont ils allaient être victimes. Et voilà pourquoi Voltaire, avant de se ranger pour eux, attendit qu’ils eussent l’opinion avec eux : il ne se sentait point né pour le martyre, mais encore bien moins pour l’impopularité ; et je n’ose point dire qu’il eût gardé ses idées, mais assurément il n’en eût point donné les expressions hardies qu’il en a données dans ses Mélanges, s’il ne s’était piqué, quand il les vit en faveur, de surpasser les encyclopédistes en audace, « comme il les surpassait en génie. »

J’ai choisi ces deux questions parmi les plus importantes que soulève naturellement une Bibliographie des Œuvres de Voltaire. Ai-je besoin de dire qu’il y en a bien d’autres encore ? Je ne parle pas ici des moindres, comme de savoir si Voltaire est effectivement l’auteur des Anecdotes sur Fréron, puisque, quand on déchargerait sa mémoire de ce fâcheux et malpropre pamphlet, il serait encore l’auteur de l’Écossaise. Est-il aussi l’auteur d’une Lettre au docteur Pansophe, assez célèbre dans l’histoire de ses démêlés avec Jean-Jacques Rousseau ? Les uns le croient, dont M. Bengesco ; et les autres non. Mais il est assurément l’auteur des Lettres sur la Nouvelle Héloïse, qu’il fit signer au marquis de Ximenès ; et cela nous suffit. Des renseignement bibliographiques nouveaux, qui peuvent nous apprendre beaucoup de faits nouveaux de la vie de Voltaire, ne changeront rien, ou bien peu de chose, à ce que l’on sait de son caractère ; ils nous le rendront seulement mieux connu ; et la ressemblance ne s’accroîtra pas, mais, au lieu de l’esquisse, nous aurons le portrait. Si l’acquisition a sans doute son prix, je ne voudrais pourtant pas qu’on en exagérât l’importance.

Autant en dirai-je d’un souhait que je forme d’ailleurs avec M. Bengesco, mais dont la réalisation n’intéresse pas beaucoup le jugement définitif à porter sur la Correspondance de Voltaire. Imprimée pour la