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ce voyage n’avait été conçu que dans la pensée d’entraîner la Porte dans des engagemens périlleux, et il est certain que l’entrée de la Porte dans la triple alliance, si elle eût été possible, si elle n’eût rencontré l’invincible résistance du sultan lui-même, eût ressemblé à une manifestation d’hostilité contre la Russie. Aujourd’hui on semble se défendre d’avoir voulu donner une si grave portée à un simple voyage d’agrément. L’empereur Guillaume va à Constantinople, il visitera le sultan, puisque tel est son bon plaisir. On parlera peu de politique sans doute, il est plus que vraisemblable qu’on n’aura ni la tentation ni l’occasion d’étendre la triple alliance jusqu’au Bosphore. Les Turcs sont des diplomates trop avisés pour s’y prêter, et l’habile homme qui dirige la politique allemande sent bien qu’un tel acte serait par trop significatif, qu’il ne pourrait que précipiter une crise inévitable.

Évidemment cette triple alliance, au nom de laquelle on agite l’Europe en prétendant la pacifier, cette alliance, sans être ébranlée, subit une sorte d’arrêt ou d’épreuve ; elle ne paraît pas pour le moment destinée à s’étendre, à enrôler de nouveaux alliés, et là même où elle a semblé un instant être vue avec faveur, elle rencontrerait, sans doute, de sérieuses difficultés. Que lord Salisbury ait eu la velléité ou la fantaisie de lier partie avec elle, qu’il se soit laissé aller à s’engager plus ou moins par des paroles, par des promesses, par des déclarations de sympathies, à défaut de traités, c’est possible, puisque des Anglais le croient et le disent ; mais il est clair que l’opinion anglaise est loin d’être tout entière avec le premier ministre de la reine et qu’elle ne se livrerait pas sans résistance à une coalition préparée et conçue dans un tout autre intérêt que l’intérêt britannique. On a pu le voir il y a quelques semaines par cet article qui a retenti en Europe, que M. Gladstone, déguisé sous le nom d’Outidanos, a publié sur la politique de l’Italie, sur la politique présumée du ministère, et plus récemment encore un homme au langage mesuré, qui a été chef du Foreign-office, lord Derby exprimait les mêmes opinions ou les mêmes réserves. Or, à considérer les élections qui se succèdent, la politique de M. Gladstone et de lord Derby n’est point sans avoir quelques chances de succès. De sorte que par le fait, après tous les voyages et toutes les entrevues, il n’y a rien de changé, que la triple alliance reste ce qu’elle est, une alliance restreinte, et que même M. de Bismarck est obligé de la sacrifier quelque peu ou de la limiter s’il veut se rapprocher de la Russie.

Quelle peut être maintenant, dans ces conditions, dans cette phase diplomatique que nous traversons, l’influence des affaires des Balkans, de la Bulgarie ou de la Serbie ? Évidemment ces affaires n’ont qu’une importance relative, qui varie selon les circonstances, surtout selon les combinaisons dont le chancelier d’Allemagne peut se faire le puissant promoteur ou le négociateur. C’est là toute la question. Elle a été sans