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semblent lui inspirer qu’une médiocre admiration, car il blâme vertement dans sa préface ces seigneurs temporels qui, au lieu de chercher à reconquérir la terre sainte, héritage commun des chrétiens, se montrent beaucoup plus empressés de déshériter leurs voisins. Voilà bien des titres à notre intérêt ; essayons donc de nous le représenter à peu près. La tâche n’est pas impossible, quoique difficile et aventureuse ; nous ne savons en effet sur lui que ce qu’il nous a appris lui-même, et cela se réduit à peu de chose.

Il est parti de Saint-Albans, nous dit-il, en 1322, le jour de la Saint-Michel, et il est revenu en 1356. Trente-quatre ans ! plus de deux fois le temps que Tacite considère comme un long espace de la vie humaine ! Eh bien ! vraiment, ce n’était pas trop pour les projets très divers qu’il semble s’être proposés au départ. Il se présente à nous sous le triple aspect de pèlerin, d’aventurier militaire, et d’observateur curieux des peuples et des mœurs. Voilà des stimulans bien variés de vie errante, mais il nous a donné indirectement une explication de cet appétit de voir et de savoir qui est trop de son époque pour que nous l’omettions. Maundeville, comme Chaucer, croyait fermement à l’astrologie judiciaire, et parlant des peuples de l’Inde, il donne pour raison de leur amour du repos et de leur inertie presque extatique, qu’ils habitent le premier climat, qui est celui de Saturne. « Saturne est lent et de mouvement insensible, car il traîne trente ans à accomplir sa course à travers les douze signes, tandis que la lune passe à travers les douze signes en un seul mois. Et comme Saturne est si lent de mouvement, le peuple de cette contrée qui se trouve dans son climat n’a ni inclination ni volonté à se mouvoir, et à désirer connaître les étrangers. Notre pays est tout le contraire, car nous sommes dans le septième climat qui est celui de la lune, et la lune se meut rapidement, et est une planète de progression. Pour cette raison elle nous donne une volonté de nous mouvoir activement, d’aller par différentes routes, de chercher les choses étrangères et les diversités de ce monde ; car la lune va autour de la terre plus rapidement qu’aucune autre planète.  » C’est la première et non la moins originale explication de l’instinct nomade qui distingue les insulaires de la Grande-Bretagne, et son auteur peut être pris comme le premier en date aussi de ces modernes Anglais qui parcourent la terre en tous sens, sans que leur caractère national en soit altéré, tournant ainsi en éloge et à leur profit le trait philosophique qu’Horace décochait aux esprits inquiets piqués de la tarentule des voyages :


Cœlum, non animum mutaut, qui trans mare currunt.