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se faisait pas faute de réclamer avec insistance. De plus, pleine autorisation avait été accordée à tous les Anglais ou Irlandais engagés au service de France (ils étaient nombreux, car on sait quel rôle la brigade irlandaise avait joué à Fontenoy), de se rendre auprès du prétendant et de faire campagne avec lui, sans dissimuler leur qualité, ni perdre leur grade. Profitant de cette invitation, le régiment de Royal-Écossais et deux escadrons du régiment de Fitz-James, en tout 3,000 hommes, étaient déjà arrivés en Écosse, convoyés par des bâtimens de commerce et conduits par lord Drumond et le brave Lally-Tollendal. Après les avoir poussés en avant, il n’était guère possible de ne pas les soutenir. Enfin, on a vu avec quelle énergie d’Argenson s’était opposé à la prétention qu’avaient émise les Hollandais, de faire servir, pour la défense de la dynastie protestante en Angleterre, les régimens faits captifs à Tournay, qui s’étaient engagés par capitulation à ne pas porter les armes contre la France : une véritable rupture diplomatique avec les États-généraux avait suivi cette controverse dans laquelle d’Argenson, appuyé, par le talent de Voltaire, s’était engagé personnellement. Pouvait-on dire d’une manière plus, positive que les deux causes de Louis XV et du prétendant n’en faisaient plus qu’une, et comment abandonner ensuite aux chances des combats un client si publiquement adopté ?

Ce qui prouverait d’ailleurs que d’Argenson ne fut pas aussi hostile qu’il le dit à l’expédition projetée, c’est que l’auteur de la protestation adressée aux États-généraux fut le même qu’on chargea de préparer un manifeste au peuple anglais, emporté en poche par Richelieu, et destiné à être publié dès que l’escadre française aurait touché la côte britannique. Ce rédacteur fut encore Voltaire et le document figure dans ses œuvres complètes. Le grand écrivain était en même temps un habile homme qui savait ménager son crédit : il n’est pas probable qu’il eût prêté sa plume à la composition d’une pièce de cette importance, s’il n’en avait pas reçu l’ordre formel du ministre dont l’affection l’honorait, ou s’il eût seulement pu craindre de lui déplaire en l’écrivant. Tout fait donc croire que cette fois comme après Fontenoy, les deux patrons de Voltaire s’entendirent, sans contestation, sur le concours qu’ils réclamaient de leur ami commun[1].

En regardant de près même aux termes de ce manifeste, très habilement présenté, il semble qu’on y reconnaît la trace des idées

  1. La résistance du d’Argenson au projet de débarquement en Angleterre, si elle eut lieu, ne fut pas connue. Le duc de Luynes dit au contraire : « Quant aux secours envoyés en Écosse, tous les ministres n’ont pas été du même avis. On prétend que les deux qui ont le plus insisté sont le cardinal de Tencin el-M. d’Argenson l’aîné. » (Journal de Luynes, t. VII, p. 127.)