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encore donner le conseil d’y renoncer complètement. Il propose de changer à la fois le point de départ et le point d’arrivée de l’expédition. Une escadre était préparée dans la rade de Brest, sous le commandement du duc d’Anville, pour aller faire campagne dans l’Atlantique, et reprendre sur les côtes d’Amérique les points dont s’était emparée la marine anglaise : ne pourrait-elle pas, auparavant, jeter les bataillons expéditionnaires sur les côtes du pays de Galles, du comté de Cornouailles ou même en Irlande, partout, en un mot, où les jacobites se vantent d’avoir des amis ? Ou bien, le même service ne pourrait-il pas être rendu par des corsaires frétés dans le port du Havre ? Aucun de ces expédiens n’étant agréé à Versailles, le général dans l’embarras, et tout à fait dépité, ne songe plus qu’à mettre sa responsabilité à couvert, en rappelant que ce n’est pas lui qui a eu l’idée première de l’entreprise : — « Ce n’est pas moi, écrit-il, qui ai formé le projet de porter des secours en Angleterre, aussi je ne suis ni acharné à trouver les moyens d’en faire passer, ni enthousiasme du zèle jacobite… Mais ayant été choisi pour conduire celui qu’on aurait pu y passer, j’ai cru devoir présenter tous les moyens que je croyais qui pourraient le faire réussir… M. le duc d’York[1] et son parti n’auront ainsi rien à nous reprocher. » — Enfin, vers le milieu de février, il tombe ou se dit malade et demande l’autorisation de revenir à la cour ; en laissant le commandement à son premier lieutenant, lord Clare. — « Il revint, dit d’Argenson, jetant les hauts cris contre les ministres de la guerre et de la marine, » et raillant les catholiques anglais et leur prince, le duc d’York, qui n’attendaient le succès de l’expédition que de leurs pratiques de dévotion superstitieuse. En revanche, les quolibets du public parisien ne l’épargnèrent pas lui-même, et comme ces plaisanteries dont les chroniqueurs et les chansonniers tiennent note portaient habituellement sur les mœurs de ce héros favori des dames, elles sont d’ordinaire assez peu décentes. La meilleure est peut-être celle qui le représente comme un barbet qui devait aller chercher un bâton de l’autre côté d’une : rivière et n’a pas même osé se mettre à l’eau[2]

  1. Le frère du prince Edouard qui faisait partie de l’expédition.
  2. Richelieu au comte d’Argenson, ministre de la guerre, 20-30 décembre 1745, 6-17 janvier 1743. — Barbier, Journal, décembre 1745. — Voici une des chansons faites sur l’expédition manquée qu’il n’est pas impossible de citer :
    Quand je vis partir l’Excellence
    De Richelieu,
    Je prévis la mauvaise chance,
    Hélas ! mon Dieu !
    Ce pilote ignore les vents
    De l’Angleterre :
    Il ne sait qu’embarquer les gens
    Pour l’île de Cythère.