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longtemps abandonnée. Qui, en la cavalerie allemande d’aujourd’hui, exaltée, surchauffée, « mordante, » reconnaîtrait cette arme dont Napoléon pouvait dire : « Les Allemands ne savent pas se servir de leur cavalerie ; ils craignent de la compromettre ; ils l’estiment au-delà de ce qu’elle vaut réellement ; ils la ménagent trop. » Et l’opinion, en Allemagne, accompagne et soutient les prétentions de la cavalerie. Contrairement à l’avis, trop répandu en France, qu’on ne peut employer utilement en campagne de grands corps de cette arme, on se montre plein de confiance, de l’autre côté des Vosges, en la tactique de masses. L’enthousiasme que suscitèrent ces dernières manœuvres eut un écho retentissant dans la presse allemande ; la Gazette de la Croix, avec un peu plus d’orgueil que de compétence, fit même remarquer, « que depuis la guerre de sept ans, on n’avait jamais réuni d’aussi grandes masses de cavalerie sous une direction unique. » Cela peut être vrai pour l’Allemagne ; pour nous, c’est inexact.

Ce que nous contemplons, en effet, dans ces tendances, d’une cavalerie rivale, c’est simplement un retour à nos propres traditions. Après Frédéric ? et plus efficacement encore, c’est Napoléon qui a été l’éducateur de la cavalerie prussienne. Battue par ses escadrons, au moment même où elle se croyait le plus puissante, elle lui a emprunté et ses principes et ses procédés. Ils ne sont ni obscurs ni compliqués. C’est avant tout une organisation rationnelle, appropriée à la guerre. D’une part, une immense réserve de cavalerie ; de l’autre, des groupes d’effectifs variables distribués entre les différentes unités agissantes de l’armée. La réserve de cavalerie est toujours massée, d’abord par divisions entières, puis, l’objectif grandissant, par corps spéciaux. En 1805, elle comprend cent vingt-huit escadrons[1] ; en 1807, cent soixante-dix[2]. En 1812, constituée en quatre corps de deux ou trois divisions chacun, elle présente le total formidable de plus de deux cents escadrons[3]. Cette réserve, c’est la part du généralissime. Napoléon seul en dispose. Il donne les indications générales. Murat ou Bessières, et au-dessous d’eux Kellermann, Lasalle, Montbrun, Nansouty, Milhaud, Colbert, exécutent. En dehors de ces fortes masses, le reste de la cavalerie est réparti entre les différens corps, non plus d’après une formule empirique et abstraite, mais d’après les rôles attribues à ces corps, et selon qu’ils sont plus ou moins encadrés, plus ou moins agissans. En 1806, les huit corps de la grande armée ont à leur disposition les uns deux, les autres trois, les autres quatre régimens de cavalerie. En 1809, la distribution est plus nettement

  1. Tableau de la grande armée du 1er au 23 frimaire.
  2. Situation de la grande armée au 1er juillet.
  3. Situation de la grande armée au 30 juin.