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nombre. La cavalerie prussienne a succombé, concluaient-ils, parce qu’il lui manquait l’éducation, l’exercice et une organisation permettant l’emploi en masses. Ces conditions, ainsi qu’une direction supérieure et unique, devront lui être rendues si à l’avenir on ne veut pas s’exposer aux mêmes échecs[1]. »

N’est-ce pas concluant ? Et quand on examine de près l’histoire de cette cavalerie régénérée, on voit qu’elle se résume en trois noms, ceux de trois entraîneurs, Wrangel, von Schmidt, Frédéric-Charles, qui, tour à tour, eurent sur l’arme entière une action et une autorité incontestées. On voit aussi que ses transformations ne sont pas le résultat d’engouemens passagers, mais bien d’une tendance persistante vers l’unité d’organisation, d’éducation et d’emploi.

Certes, l’œuvre fut lente et laborieuse. Commencée après 1815, reprise après Sadowa, elle n’était pas encore terminée au moment de la dernière guerre ; — si peu qu’un de ses plus illustres et plus tenaces propagateurs, le général von Schmidt, pouvait, au lendemain de 1870, blâmer à la fois et le manque d’aptitude à la tactique de masses et l’organisation défectueuse de la cavalerie : « Au jour de la bataille, écrivait-il, le Grand Roi[2] réunissait de grands corps de cavalerie et distribuait à leurs chefs des instructions spéciales. Ces corps chargeaient sur plusieurs lignes, que l’on disposât de 30, de 50, de 60 ou de 90 escadrons… Et nous, que faisons-nous ? Tout en ayant 84 escadrons à notre disposition, nous les disséminons et nous chargeons avec 4, avec 6, avec 8 escadrons au plus, en une ligne, sans aucune espèce de réserve ! Qu’y a-t-il d’étonnant alors si, malgré un dévoûment sans bornes, nous n’avons obtenu que de faibles résultats ? » Et, plus loin, il ajoute : « Le service de brigades de corps d’armée n’a pas eu une influence bien favorable sur la cavalerie. La vie, l’énergie, l’élan, l’élément vivifiant de l’arme, s’en vont[3]. »

Sans parti-pris, sans exclusivisme, sans comparer plus longuement deux cavaleries égales en traditions et en courage, en souvenirs glorieux comme en profonds revers, nous souhaitons que les dures épreuves de nos rivaux en 1806, comme les nôtres en 1870, rapprochées des lumineux enseignemens légués par les Frédéric et les Napoléon, servent à nous faire entrevoir la vérité.


A. A.

  1. Kœhler, Histoire de la cavalerie prussienne de 1806 à 1876.
  2. Les historiens et les écrivains militaires allemands désignent toujours ainsi Frédéric II.
  3. Considérations sur la cavalerie après les expériences de la campagne de 1870-1871 (Mémoire rédigé en 1871).