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population un comité scolaire (School-board), élu au scrutin secret par les contribuables, et qui avait pour mission non-seulement de subventionner les écoles religieuses déjà existantes, mais de créer, à côté de celles-ci ou à leur défaut, des écoles laïques, destinées à servir d’étalons et accessibles aux anglicans comme aux dissidens, aux wesleyens et aux baptistes, aussi bien qu’aux quakers et aux catholiques. Ces School-boards nommaient des inspecteurs chargés de visiter les écoles et de veiller à l’exécution de la loi. L’impôt qui devait subvenir au fonctionnement de ces services était perçu sous la forme d’une rétribution scolaire, directement exigible du père de famille. Loi bâtarde, loi de transition, nécessaire peut-être pour déblayer le terrain et préparer l’avenir dans un pays où, jusque-là, tout avait été abandonné, en matière d’instruction primaire, à l’initiative des individus ou des congrégations.

M. Chamberlain applaudissait, cela va sans dire, au principe général de la loi Forster, mais il en condamnait amèrement les détails. Il ne lui semblait pas possible de proclamer l’obligation sans assurer la gratuité et la laïcité de l’école. « Je ne me reposerai, disait-il, que quand nous serons débarrassés de cette taxe infâme. » Il collectionnait comme autant de documens les cas où le maître d’école et l’inspecteur, voulant imposer le versement de la rétribution scolaire, s’étaient trouvés en présence d’un dénûment absolu. Là, il n’y avait pas un penny à la maison ; ailleurs les enfans n’avaient pas mangé depuis deux jours ; ailleurs encore, on avait mis en gage les couvertures de laine et les vêtemens les plus essentiels pour acquitter la « taxe infâme. » Une femme disait : « Mon mari est trop pauvre pour payer et trop fier pour s’adresser à la paroisse. Il est capable de se faire sauter la cervelle. » Tous ceux qui se sont occupés des classes indigentes autrement que dans les journaux ou à la tribune savent combien il est malaisé de distinguer la misère authentique de la misère jouée. Parfois, on reconnaît la seconde à ce fait qu’elle est plus éloquente et plus touchante que la première. Toutes ces scènes de douleur qui émouvaient les auditeurs de M. Chamberlain ne se reproduisent-elles pas au passage des différens collecteurs qui recueillent l’income-tax, l’impôt des pauvres, et, dans les villes, les taxes municipales ? S’arrête-t-on, doit-on s’arrêter devant ces plaintes lamentables, devant cette mise en scène, plus ou moins sincère, de la détresse populaire ? Si l’instruction primaire est gratuite, il faudra que quelqu’un en paie les frais. La rétribution scolaire ne disparaîtra que pour renaître sous la forme d’une taxe anonyme, perdue dans la masse générale des impôts, et dont le poids pèsera principalement sur ceux qui n’envoient pas leurs enfans à l’école primaire. En d’autres termes,