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les notables. Ce voyage eut pour résultat un article de la Fortnightly Review, où M. Chamberlain racontait son enquête avec une parfaite sincérité[1], et une proposition de loi, déposée sur la table du parlement en mars 1877. Ce bill donnait aux villes le pouvoir de racheter les licenses et de les exploiter directement, comme le service de l’eau et du gaz, si elles y étaient autorisées par la majorité des ratepayers. « Quoi ! dit-on à M. Chamberlain, vous voulez que la commune se fasse marchande de bière et marchande de vin ? » — « Pourquoi pas ? répliqua-t-il. On reprochait, un jour, au révérend Spurgeon ses excentricités de parole. Savez-vous ce qu’il répondit ? Je prêcherais la tête en bas et les pieds en l’air si je croyais, dans cette posture, ramener plus d’âmes à Dieu. — Moi, messieurs, continuait M. Chamberlain, je mettrais un tablier et j’irais servir au comptoir, si j’espérais, par ce moyen, réduire de quelques cas le nombre des ivrognes, à Birmingham. » La curiosité de voir M. Chamberlain dans le costume et dans les fonctions de sommelier du peuple ne prévalut pas sur les idées de la majorité. La proposition n’eut aucun succès. Ces formes plébiscitaires, cet empiétement sur le terrain de l’industrie privée, ce monopole créé en faveur de la commune, tout cela effarouchait le parlement. Il ne paraissait pas moral d’inscrire l’ivrognerie, restreinte, mais conservée et en quelque sorte légalisée, comme une recette régulière du budget municipal. Depuis, le mal s’est atténué, non par la mise en pratique de quelque expérience législative, mais par l’effort patient et continu des apôtres du peuple, des femmes et des différens clergés. Ces influences morales qui sont sans cesse à l’œuvre, mais qui n’ont point de place dans les belles colonnes verticales et horizontales des tableaux statistiques, sont, après tout, les plus puissantes. Je donnerais tous les Permissive bills et tous les systèmes de Golhembourg pour un seul père Matthews qui fait sangloter les coupables et leur arrache un serment trempé de larmes.

M. Chamberlain ne s’était pas borné à visiter les cabarets de Gothembourg. De Stockholm il était remonté on steamer jusqu’au fond du golfe de Bothnie et s’était enfoncé jusqu’aux confins de la Laponie suédoise. Dans le récit que publia la Fortnightly Review, je vois reparaître, à chaque ligne, l’administrateur, le réformateur populaire qui examine l’état des routes, pèse les truites, mesure de l’œil le diamètre des arbres et s’inquiète du mode d’exploitation des bois et des cours d’eau, qui se penche curieusement sur le pot-au-feu perpétuel du Lapon où vient tomber tour à tour tout ce qui

  1. Fortnightly Review, 1er décembre 1876. Voir aussi les n° du 1er mai 1876 et du 1er février 1877.