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à l’origine des sociétés, ce seul et unique mode de propriété. On le revoit encore, alternant avec la propriété individuelle dont il corrige les excès, à l’époque où la pensée catholique gouvernait le monde, avant les abominables sécularisations du XVIe siècle. Enfin, il reparaît partout de nos jours, sous la forme de l’association que les économistes bourgeois ont prônée et encouragée de toute leur force. Quant au socialisme d’état, est-ce une nouveauté ? Pour rester en Angleterre, la loi des pauvres, déjà ancienne, la loi sur la gratuité de l’enseignement, n’est-ce pas du socialisme d’état ? La conception même de l’état n’est-elle pas socialiste ?

Mais les penseurs auraient pu longtemps agiter ces questions dans l’enceinte fermée des écoles-ou dans les gros livres érudits qui préparent, patiemment et, obscurément, la voie des siècles d’venir, si la crise aiguë de la terre n’exigeait impérieusement une solution. Que voyait-on ! Une minorité infime de propriétaires enlace d’une multitude de travailleurs mercenaires ; les salaires agricoles tombés si bas qu’ils n’assuraient même plus le pain des paysans. Contraste inattendu et lamentable : la terre manque de bras et le laboureur manque de travail. La fortune vient, en dormant, au riche landlord par la plus-value de son domaine, et nulle compensation n’est assurée au fermier qui, par son industrie ou son capital, a produit cette plus-value. En quinze ans, huit cent mille paysans ont quitté les campagnes et sont venus grossir la foule des ouvriers de l’industrie ; ils ont, par leur compétition, fait baisser le prix des salaires en même temps que leur affluence dans les villes faisait hausser le prix des denrées. Ainsi le peuple tout entier est atteint, et il souffrira tant que la question de la terre ne sera pas résolue.

Comment la résoudre ? En écrasant le landlordism, comme le veut M. George, le grand socialiste américain, d’un impôt supérieur au revenu ? Ou en décrétant une brutale confiscation, comme le conseillent des théoriciens encore moins scrupuleux ? Les adversaires de M. Chamberlain auraient bien désiré faire croire qu’il inclinait vers ces moyens violens. Mais il ne se lassait point de leur donner des démentis : « Je ne suis pas un communiste, quoique certaines gens le prétendent. » Et encore : « On parle de confiscation, de pillage ! c’est de la poussière qu’on soulève pour empêcher les gens de voir clair. Ceux qui me discutent avec de telles expressions sont trop prévenus pour me lire ou trop stupides pour me comprendre. « Il ne veut pas de la confiscation « parce qu’elle détruirait le désir d’acquérir » et « la sécurité attachée à la propriété. » Que veut-il donc ? Simplement ceci : donner aux assemblées locales, existantes ou à créer, les pouvoirs nécessaires pour racheter, sur expertise, des terres qui seront distribuées aux cultivateurs et dont ils