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Déjà cette révolution sociale commence. La mise en pratique de la loi sur les allotments, de M. Jesse Collings, qui est comme le préambule des lois agraires de M. Chamberlain, Ta être remise aux mains des conseils de district. Les terrains usurpés par les particuliers sur les communes seront repris, divisés en lots, remis aux travailleurs qui les occuperont dans une situation mixte entre celle des locataires, et celle des propriétaires. L’esprit anglais et l’état de la législation permettent ces compromis que repousse notre esprit latin, absolu et symétrique. Ce sont des étapes qui rendent plus facile la marche d’une société, de l’erreur à la vérité, du privilège à la liberté et de l’abus au droit.

On comprendra maintenant la place que tient M. Chamberlain en Angleterre, surtout si j’ajoute que les esprits se sont lentement convertis à la solution qu’il indiquait, dès le début, à la question irlandaise. Que M. Parnoll et ses amis y consentent, cette question sera réglée demain. L’Irlande aura son autonomie administrative ; elle sera maîtresse chez elle, sans cesser d’exercer à Westminster sa part légitime de souveraineté.

Un homme a singulièrement aidé, qu’il l’ait voulu ou non, au triomphe des idées de M. Chamberlain, c’est lord Randolph Churchill, dont j’ai essayé d’esquisser, l’an dernier, la curieuse physionomie. Le député de Birmingham, toujours équitable et courtois envers son jeune collègue, même quand celui-ci perdait la mesure, l’a défini un « tory démocrate, plus démocrate que tory. » La situation actuelle disparaîtra, chacun reprendra sa place naturelle, son rôle logique : ces deux hommes resteront ce qu’ils sont, et, si Dieu leur prête vie, alterneront au pouvoir comme ont alterné Disraeli et Gladstone. Et le pays ne sentira point cette effroyable secousse qu’éprouverait la France si le comte de Mun succédait à M. Jules Ferry, ou M. Clemenceau à M. Paul de Cassagnac. L’un restaurera, l’autre réformera : deux manières d’agir qui aboutissent quelquefois au même résultat. M. Chamberlain croit à la raison humaine et au progrès, lord Randolph Churchill est un chrétien ferme et déclaré. M. Chamberlain a confiance dans l’efficacité des principes plus que dans l’infaillibilité des hommes : Measures, not men ! Lord Randolph est plutôt de l’école de Carlyle : « cherchez l’homme capable, the able man, et donnez-lui carte blanche ! » Mais, quelles que soient leurs divergences, apparentes ou réelles, jamais l’un de ces deux hommes ne se donnera pour mission de détruire l’œuvre accomplie par l’autre.

‘Que seront-ils pour la France ? Il est permis d’espérer en lord Randolph et il est logique de compter sur Chamberlain.

L’orgueil anglais est à la fois une force et une faiblesse : vous