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cette grande question n’était pas à Khartoum. « Il n’y a que deux moyens, écrivait-il à Londres, deux moyens sérieux pour empêcher la traite : le premier, de tarir la source en établissant la tranquillité dans les territoires de chasse au gibier humain ; le second, de fermer les débouchés en Égypte, en Turquie et en Perse. »

D’autres récits que ceux des explorateurs et missionnaires anglais vinrent jeter aussi en France une sinistre clarté sur ce qui se passait sur les rivages des grands lacs africains, je veux parler des lettres écrites par des missionnaires, nos compatriotes. Par une circonstance toute providentielle pour l’abolition de l’esclavage, l’évêque de Nancy, devenu depuis le cardinal Lavigerie, avait été nommé à l’archevêché d’Alger. L’éminent prélat se dit aussitôt qu’envoyé en pays musulman, c’est-à-dire à un poste de combat en quelque sorte, il lui fallait des auxiliaires sur lesquels il pût compter, propres aux missions qu’il comptait bien leur confier, il créa donc, en 1878, un séminaire où l’étude et la connaissance de la langue était particulièrement obligatoire. On devait y porter le costume de laine blanche aux plis flottans, autrement seyant, certes, que la noire soutane des lazaristes, s’habituer aux longues marches, et à la sobriété des nomades du désert. Le séminaire de Kouba fut donc fondé, et c’est de là que sont sortis et sortent encore ces missionnaires que l’on rencontre avec un vif intérêt un peu partout, à Biskra, c’est-à-dire au pays des oasis, sous les ombrages parfumés de Blidah, dans l’Oranais avec Figuig pour objectif, sur les hauteurs neigeuses du Djurdjura, à Carthage où ils sont à la fois gardiens du poste télégraphique et du peu qui nous reste de la rivale de Rome. Mais ces pères parcourent des régions saines, et suivent des routes largement ouvertes. Il en est d’autres dont la tâche est plus ardue ; pour les Voir exercer un apostolat plutôt de charité que de propagande religieuse, il faut aller jusqu’au Zambèze et sur les rires des grands lacs. Et ils ne sont pas les seuls : dans d’autres régions du continent noir, on trouve des lazaristes, des pères du Saint-Esprit, des missions de Lyon et de vénérables sœurs de charité vouées à une mort certaine loin de leur patrie. Tous combattent, répandant autant que possible la morale de l’Évangile dans les tribus nègres, mais s’efforçant par-dessus tout de les arracher à leur triste condition et à relever leurs esprits.

C’est le 25 mars 1878, aussitôt après avoir obtenu l’approbation de Léon XIII, que les premiers pères blancs au nombre de dix partirent pour le centre de l’Afrique. « Marchez donc, leur dit Mgr Lavigerie, au nom et avec l’aide de Dieu ! Allez relever les petits, soulager ceux qui souffrent, consoler ceux qui pleurent, guérir ceux qui sont malades. Ce sera l’honneur de l’église de vous voir révéler de proche en proche, jusqu’au centre de cet immense