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ombrage à qui ne l’aurait pas sous sa direction. Ce qu’il faudrait renouveler sur une très grande échelle, ce serait une quête générale dans toute la chrétienté comme au temps des croisades. Le cardinal Lavigerie a recueilli près d’un million de francs, à quel chiffre n’atteindrait pas une quête universelle faite par le saint-père ? Il faudrait de l’argent, beaucoup d’argent, non pour gagner à notre cause les métis dont on devra se défaire par n’importe quel procédé, mais pour désintéresser d’honnêtes Arabes qui possèdent des esclaves acquis aux mêmes titres que les colons américains, les créoles des Antilles et autres avaient acquis les leurs, c’est-à-dire contre argent comptant ou par héritage. Il ne faut pas ignorer que dans les conditions où, depuis des siècles, se trouvent certaines régions de l’Afrique, l’esclavage est entré profondément dans les mœurs et les coutumes et qu’on ne gagnerait absolument rien à vouloir les réformer par la violence. Les Arabes ne font aucune difficulté, du reste, à vendre leurs esclaves dès qu’on leur en offre un prix raisonnable ; c’est ainsi qu’à la station de Rabaï, appartenant à des missionnaires anglais, il se trouve un village qui ne comprend pas moins de 1,500 noirs libérés. Nos missionnaires ont aussi les leurs, mais l’argent leur manque pour en émanciper autant qu’ils le voudraient. A Ferdoyo, petit village qui est dans la sphère des terres « protégées » par les Anglais, on peut voir actuellement 3,000 nègres fugitifs ; leurs maîtres ont le droit de venir les reprendre, mais ce serait avec empressement qu’ils les céderaient à bas prix. La quête universelle produirait à coup sûr de bons effets, des résultats vraiment pratiques.

Ainsi que je l’ai dit au début de cette étude, il a été livré deux assauts à l’esclavage, le premier, lors de la propagation et du triomphe de l’Évangile, le second, quand, en Amérique, les états du nord vainquirent ceux du sud. Tous les deux ont été des assauts heureux. En sera-t-il de même pour le troisième ? J’en ai le ferme espoir, car si de grands peuples comme les Anglais, les Allemands, les Français, les Italiens, les Belges, se liguent pour imposer une idée généreuse, défendre une grande cause, cette idée et cette cause ne peuvent sûrement finir que par un éclatant triomphe.


EDMOND PLAUCHUT.