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grandeur et les qualités particulières qui la placent en tête des nations. La race anglaise a les siennes, sans doute, très grandes et très favorables à l’accumulation de la richesse et à l’accroissement de la puissance ; mais elles n’ont nullement pour source le gouvernement local, lequel, d’ailleurs, n’existe pas en Angleterre.

On attribue généralement aux professeurs des universités allemandes l’invention de cette nouvelle forme de la science économique qu’on appelle tantôt « socialisme d’état, » tantôt, rappelant sa prétendue origine, Katheder-Socialism (socialisme de la chaire) ; c’est à tort. Le mérite, dans la mesure où on l’admet, en revient à Dupont-White. Tout en repoussant les utopies des réformateurs qui voulaient reconstruire la société de toutes pièces, sur de meilleures bases, Dupont-White admettait la plupart des griefs qu’ils faisaient valoir contre l’ordre de chose actuel, et, ainsi, il était amené à demander que le gouvernement portât remède aux souffrances des classes laborieuses et redressât les inégalités excessives. Il ne voulait ni de l’État-gendarme des économistes, ni de l’État-providence des socialistes, mais il prétendait que le pouvoir doit être, comme il l’a été dans le passé, l’instrument du progrès et l’organe de la justice sociale, tâche immense, dont il était encore impossible de fixer les limites. Il traçait, dès 1846, le programme de la nouvelle école économique qui occupe aujourd’hui presque toutes les chaires universitaires, non-seulement en Allemagne, mais en Angleterre, aux États-Unis et en Italie. On peut donc l’appeler un précurseur dans toute la force du terme.

Son premier livre porte le titre de : Essai sur les relations du travail avec le capital. Il considérait comme démontrées ce que l’on appelle les lois de Ricardo concernant le salaire, la rente et la population. Ces principes fondamentaux de l’économie politique étaient alors généralement acceptés, et Stuart-Mill venait de leur donner une autorité nouvelle, en les émondant de ce qu’ils avaient de trop absolu, de trop mathématique, et en leur prêtant toute la rigueur de sa logique et toute la clarté de son style. La population tend partout à s’accroître, tandis que l’étendue du sol cultivable est limitée. Il s’ensuit que, dans tout pays qui prospère, le prix des denrées alimentaires doit augmenter et la rente du sol s’accroître en proportion. Le bénéfice du progrès se condense donc aux mains des propriétaires fonciers, qui, jouissant d’un monopole, s’enrichissent, même sans rien faire. D’autre part, le nombre des ouvriers augmente : pour trouver à subsister, ils sont forcés d’offrir leurs bras au rabais, et ainsi se réalise cette maxime si souvent répétée de Ricardo, que les socialistes allemands qui l’invoquent ont appelé « la loi d’airain » : le salaire finit toujours par se réduire au minimum de ce qui est indispensable aux ouvriers pour vivre et