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Certes, nous possédons la vérité, mais ils n’ont pas toujours aussi grand tort que nous le pensons de croire qu’ils la possèdent aussi. Cette diversité qui est si bien faite pour nous étonner jusqu’à l’effroi est beaucoup plus grande dans les choses de la nature et de la race, que dans les choses de l’âme et de l’esprit. Oui, il existe dans la nature des différences inconciliables, des pygmées et des géans, des hommes qui marchent à quatre pattes et des hommes qui n’ont qu’un pied, des peuples qui n’ont pas de nez et des peuples qui ont des têtes de chien, des femmes qui ont la lèvre supérieure si longue qu’elles s’en servent comme de parasol pour se garantir du soleil, et des femmes qui ont pour yeux des pierres précieuses dont l’éclat fascine ceux qui les regardent ; mais il en est autrement dans l’ordre moral où la diversité est souvent plus apparente que réelle, et plus à la surface qu’au fond. On peut dire qu’à cet égard les divers peuples sont plutôt séparés par des cloisons que par des murailles, et les cloisons sont quelquefois si minces que les voix peuvent s’entendre des deux côtés aussi distinctement que possible.

Maundeville appuie ses opinions sur une sorte de système cosmographique où il se montre en avance de Colomb et de Copernic. La terre est ronde, c’est un globe entouré d’eau. Embarquez-vous sur un point quelconque de ce globe, naviguez aussi longtemps que vous voudrez, et il y aura toujours un moment où vous reviendrez à votre point de départ. « C’est ce qui arriva, lorsque j’étais jeune, à un digne homme qui partit de notre pays pour découvrir le monde. Il alla dans l’Inde, et dans les îles au-delà de l’Inde, qui sont au nombre de plus de 5,000, et il voyagea si longtemps par terre et par mer, qu’à la fin il arriva dans une île où il entendit les gens parler son propre langage, et crier aux bœufs à la charrue les mêmes mots qu’on leur criait dans son pays. Ce lui fut un grand étonnement, et il ne comprit pas comment cela se pouvait faire. Il s’en retourna donc, et perdit en ce faisant beaucoup de temps, comme il le confessa plus tard, car il arriva qu’étant allé en Norvège, une tempête le rejeta dans une île, et il reconnut que c’était celle où il avait entendu parler son propre langage, et crier ainsi aux bœufs à la charrue. Il en est de même dans le monde moral. Allez aussi loin que vous voudrez dans le domaine des idées et des croyances, écartez-vous autant que vous le voudrez de votre point de départ, et il y aura toujours un moment où vous y serez ramenés, et vous entendrez nommer Dieu et le diable comme dans votre pays.

Non-seulement toutes les doctrines finissent par aboutir à un même point, mais elles ont toutes une certaine ressemblance entre elles, ressemblance d’abord vague, incertaine, confuse, mais