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qu’il raconte de Mahomet n’est qu’un tissu de fables recueillies dans ses conversations avec les musulmans, mais il n’en est pas de même pour ce qu’il dit du Coran, qu’il prétend avoir lu, et dont il montre, en effet, une connaissance suffisante pour qu’on l’en croie sur parole[1]. Ce n’est pas trop s’avancer que de dire que sur l’islamisme Maundeville pense exactement comme son grand contemporain Boccace. Se rappeler le conte des trois anneaux. Il y avait dans une famille un anneau d’un tel prix qu’il ne pouvait, étant unique, être compris dans les partages des héritiers et passait toujours du père à l’aîné ; mais il arriva qu’à une certaine génération le père eut trois fils qu’il aimait également, et ne pouvant se résoudre à laisser à aucun le précieux anneau, il en fit faire, pour tourner la difficulté, deux autres tout semblables. Ces trois anneaux, dit le personnage narrateur du conte, sont le judaïsme, le christianisme et le mahométisme, qui ont entre eux une ressemblance si étroite qu’on ne saurait dire lequel des trois peuples qui professent les trois religions est le véritable héritier de Dieu. De même Maundeville marque avec précision les dogmes communs aux deux religions, dogmes qui rapprochent tellement l’islamisme du christianisme qu’il considère les musulmans comme aisément convertissables. « Ce livre (le Coran) dit que Jésus fut envoyé par le Dieu tout-puissant pour être un miroir et un exemple à tous les hommes. Il dit aussi du jour du jugement que Dieu viendra pour juger toute l’humanité, qu’il placera les bons à son côté et leur donnera le bonheur éternel et qu’il condamnera les méchans aux peines de l’enfer… Ils reconnaissent que les œuvres du Christ sont

  1. Il connaît le Coran non-seulement dans ses dogmes essentiels, mais dans sa partie légendaire. Il n’est pas une seule des traditions de ce livre concernant Jésus qu’il ait omises dans le résumé qu’il en a fait. Or ces traditions, toutes respectueuses qu’elles soient pour les personnes saintes du christianisme, n’en sont pas moins fort choquantes pour les croyans sincères et pieux, et Maundeville les raconte avec une complaisance et une indulgence singulières. Il sait que la personne réelle de Jésus n’a pas souffert sur la croix et que les juifs n’ont crucifié qu’un fantôme. Il sait que, lorsque Marie eut enfanté sous un palmier, elle eut grand’honte, se lamentait et souhaitait d’être morte ; mais que l’enfant qui venait de naître se prit soudain à parler et la consola en lui disant : « Mère, n’aie pas de crainte, car Dieu a caché en toi ses secrets pour le salut du monde. » Sur ce sujet de l’incarnation, il sait encore quelque chose de plus particulier qui n’est pas dans le Coran, c’est que, lorsque Marie vit l’ange Gabriel pour la première fois, elle eut très grand’peur : « Car il y avait alors dans la contrée un enchanteur nommé Teknia, qui, par ses enchantemens, pouvait prendre la ressemblance d’un ange, et qui, sous ce déguisement, dormait souvent avec les vierges. C’est pourquoi elle conjura l’ange de lui dire s’il était ou non Teknia, et l’ange la rassura et lui dit qu’elle ne devait avoir aucune crainte de lui. » Maundeville a si réellement lu le Coran qu’en citant cette dernière tradition il fait remarquer qu’elle ne s’y trouve pas. En ajoutant cette légende à celle qui nous montre Jésus parlant aussitôt après sa naissance, on aura au complet l’histoire de la conception et de la naissance de Merlin l’enchanteur.