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origine : ils devraient donc s’écrire pareillement. Pourquoi d’une part dortoir et d’autre part réfectoire ? Pourquoi clientèle et tutelle ? Pourquoi écrivons-nous quelqu’un ? L’orthographe quelcun semblait exigée par la logique, du moment qu’on a chacun et aucun.

Venons maintenant à cette querelle des lettres étymologiques qui dure depuis le temps des derniers Valois et qui, on le voit bien, n’est pas près de finir. La cause du fait est aujourd’hui connue de tous ; à côté des mots que le français a directement hérités du latin par l’usage populaire, il en est d’autres que les clercs ont tirés des livres. Ceux-ci nous sont arrivés en quelque sorte tout crus et avec toutes les lettres qu’ils avaient en latin. La différence entre raide et rigide, entre frêle et fragile, entre métier et ministère montre bien la différence de provenance. Mais non contens d’une langue ainsi enrichie de termes savans, les érudits du XVe et du XVIe siècle, tout remplis de leurs lectures, se sont complu à donner un aspect latin aux mots populaires. En souvenir des origines, on écrivit niepce au lieu de nièce, nuict au lieu de nuit, beaulté au lieu de beauté. Même les noms propres n’y purent échapper : ainsi Lefèvre, qui est le latin faber, devint Lefebvre. La ville d’Orléans, qui au moyen âge s’appelait Orlien, redevint Aurelians. Les lecteurs de Rabelais connaissent bien cette verbocination latiale, dont l’auteur de Pantagruel s’est gaîment moqué, mais qu’il a trop fidèlement suivie dans son écriture. On orthographia au XVIe siècle un escript, un phantosme, recebvoir son deub. « Des groupes de consonnes, dit M. A. Darmesteter, vinrent de toutes parts s’abattre sur l’orthographe. » Si le XVIIe et le XVIIIe siècle ont réagi contre cette manie, si la plupart des lettres inutiles ont été peu à peu éliminées, il en reste cependant assez pour que les partisans d’une simplification, renforcés sur ce point par les amis du pur moyen âge, aient largement de quoi exercer leur critique.

Une circonstance particulière leur a encore fourni des armes. Grâce au progrès de la philologie, on a constaté qu’un certain nombre de ces lettres prétendues étymologiques portaient à faux et indiquaient une origine qui n’était pas la vraie. Nous écrivons le mot poids avec un d qui a la prétention de rappeler le latin pondus : mais il vient du participe pensum et devrait s’écrire le pois. L’adjectif forcené n’a rien de commun avec la force : il désigne un homme hors de lui, forssené, en italien, forsennato. Il n’y a aucune raison pour écrire ermisseau avec deux s : c’est un diminutif comme lionceau ; on n’a qu’à penser à l’italien vermicello, d’où le français vermicelle. Au contraire, morceau, qui s’écrit avec un c, devrait avoir un s ; au moyen âge, on disait morsel, lequel a passé en anglais ; c’est un diminutif de l’ancien participe mors,