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l’école primaire des broussailles qui l’encombrent, voilà enfin un motif qui a une réelle valeur. Si une réforme de l’orthographe doit amener ce bienfait, quelles que soient les objections qui pourront venir d’ailleurs, il faudra y souscrire sans retard. Mais là encore prenons garde de rien exagérer : je ne crois pas qu’il y ait aucune orthographe, — même phonétique, — qui dispense nos maîtres d’école d’avoir du bon sens et de la modération. Tout deviendra entre leurs mains matière à examen et à concours, si leur esprit est orienté de ce côté : les tours de force en chronologie vaudraient-ils beaucoup mieux ? La nouvelle orthographe n’aurait-elle pas bientôt elle-même ses arcanes et ses pièges ? Il appartient à ceux qui instruisent et qui dirigent nos maîtres, de leur faire comprendre que tous les enfans ne doivent pas être élevés comme s’ils étaient destinés à devenir instituteurs. Les rafïinemens de l’orthographe n’auraient jamais envahi l’école, si l’école avait eu dès l’origine ses patrons s’intéressant à l’éducation populaire, la voulant sobre et solide. On ne voit pas ce que l’irruption de la néographie changerait aujourd’hui à cet état de choses. Elle y ajouterait sans doute un nouvel élément de confusion, et elle ferait perdre, en doutes et en disputes, un temps déjà trop envahi par des occupations d’une utilité contestable. C’est en ôtant dans les examens à la dictée sa valeur prépondérante et éliminatoire, c’est en pesant les fautes au lieu de les compter, et en ayant toujours devant les yeux le but général de l’examen, qu’on parviendra à diminuer peu à peu la force du préjugé orthographique.

A plus forte raison doit-on épargner les subtilités de l’orthographe aux nouveaux Français de la Cochinchine, du Tonkin et du Sénégal. Ce n’est pas l’orthographe seulement, mais c’est la langue qu’il faut simplifier à leur intention. Le général Faidherbe a consacré les dernières forces de sa vie à cette cause. J’ai vu, comme tout le monde, à l’Exposition de l’esplanade des Invalides, les cahiers des petits écoliers annamites et cambodgiens. Quelques maîtres ont déjà compris qu’il y a un choix à opérer dans la civilisation qu’on leur apporte. Ils n’ont que faire du détail de nos règles grammaticales, comme j’espère aussi qu’on leur fera grâce de nos rois mérovingiens, de nos quatre-vingt-six départemens et des affluens de nos rivières de France. L’école sera un puissant agent d’assimilation à condition d’offrir des connaissances d’une application immédiate : il me semble que des ateliers où l’on apprendra à travailler le bois et le fer avec les outils perfectionnés de l’industrie moderne seront d’excellentes annexes de l’école, et rempliront heureusement le temps qu’on pourra gagner en sacrifiant une partie de notre savoir scolaire.