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mieux porter l’effort sur certaines règles grammaticales, telles que la formation du pluriel, parce que ces règles trouvent leur application à tout instant, et parce qu’avec leurs exceptions, qui souffrent elles-mêmes des exceptions, elles sont tout particulièrement le cauchemar des écoliers. Des pluriels comme châteaus, chevauz, caillous, cieus, n’auraient rien de trop étrange. Les romanistes assurent que l’a ; s’est introduit dans ces pluriels par une erreur de lecture : faisons donc disparaître l’erreur, ce qui aura l’avantage de ramener un assez grand nombre de mots dans la règle générale. Je ne réclame point pour ce changement un commandement exprès, avec arrêt de proscription contre l’ancienne orthographe : je voudrais qu’une période de transition pût s’établir, pendant laquelle les deux manières seraient admises sur le pied d’égalité. C’est ainsi que peuvent se faire les changemens, car les yeux et l’esprit ont alors le temps de s’habituer aux nouveautés, et quand la confirmation définitive arrive, elle ne déroute ni ne surprend personne.

Un autre point de la grammaire qui a causé bien des naufrages, ce sont les noms composés. Nos manuels se montrent sur ce chapitre singulièrement pointilleux. Ils veulent qu’on orthographie des porte-plume, parce que dans chacun il n’y a qu’une plume : mais ils demandent qu’on écrive un porte-cigares, parce que l’étui contient ou peut contenir plusieurs cigares. Ils prétendent qu’il faut écrire des arcs-en-ciel : mais en même temps ils sont assez honnêtes pour prévenir qu’on ne doit pas faire entendre l’s. Ce sont là de pures subtilités, qui n’ont pas été imaginées, je le veux bien, pour tracasser le monde, mais qui témoignent chez leurs inventeurs d’un excès de scrupule. Une chose qui devrait les rassurer, c’est que nous employons sans y penser quantité de composés de même sorte, que nous traitons comme mots simples : nous écrivons des plafonds, des vinaigres, des vauriens, des tocsins, un portefeuille, sans que la grammaire ni la logique en soit autrement compromise. On abuse des traits d’union : quand un mot composé est devenu assez familier à notre esprit pour que nous cessions de faire attention aux élémens dont il se compose, le moment est arrivé d’opérer la soudure.

Les participes ont une réputation proverbiale qu’ils doivent à leurs allures capricieuses et difficiles à comprendre. Il faut avouer que la langue n’est pas la seule coupable, mais que les règles de la grammaire officielle y ont quoique peu ajouté. On nous dit, par exemple, qu’il faut écrire : la maison que j’ai vu construire et la maison que j’ai vue tomber : mais dans les deux cas la syntaxe est la même, vu a pour vrai régime l’infinitif et devrait rester invariable. Il serait bizarre, dans une phrase ainsi orthographiée : les