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thé se prépare au presbytère, un thé abondant et solide accompagné de merveilles culinaires qu’exécute la bonne Mrs Thornburgh tout en se berçant d’un espoir délicieux, celui de faire bientôt un mariage. Le héros de l’aventure est là, rétabli depuis peu d’une fièvre maligne qui a momentanément effacé les couleurs de son teint de jeune fille, — non pas beau peut-être, mais singulièrement agréable, sympathique dans toute la force du terme. Robert Elsmere a entendu déjà plus d’une fois l’éloge de la famille Leyburn :

— Une sainte, une beauté, une femme d’esprit, à votre disposition, en ces lieux sauvages ! s’écrie Robert. Vous êtes trop favorisés !

Et il s’informe de l’événement qui a pu amener, du sud où elles demeuraient autrefois, ces trois jeunes filles.

C’est qu’en réalité elles sont du Westmoroland même, sorties d’une race de paysans ivrognes qui ont fini par boire toutes leurs terres. Le père de Catherine, Richard Leyburn, s’est élevé seul au-dessus de cette vie grossière ; une bourse lui a permis de faire ses études au collège, puis de pousser jusqu’à Oxford. Entré dans les ordres, il a été d’abord directeur d’une école, puis il est revenu dans le pays, il a racheté à un frère aîné perdu de dettes la vieille maison de famille où s’étaient passées tant de scènes brutales, mais qui, depuis lors, n’abrita plus que l’étude et les bonnes œuvres. Catherine avait quinze ans à cette époque, elle accompagnait déjà partout son père, le secondait en toutes choses ; quand il lui manqua, elle prit à tâche de le remplacer de son mieux, exerçant sur les siens une autorité douce, visitant les pauvres, considérée par la vallée tout entière comme un ange de dévoûment.

Les récits qu’on lui fait rendent Robert Elsmere très curieux de rencontrer cette sublime Catherine ; aussitôt qu’elle vient rejoindre le groupe de provinciaux réunis chez Mrs Thornburgh, il sent que celle-ci n’a rien exagéré. Nous voyons naître entre les deux jeunes gens un attrait réciproque, au milieu des détails passablement comiques de la soirée.

En esquissant les silhouettes de l’épouse majestueuse du recteur Seaton, de sa vieille fille de sœur, du clergyman robuste qui joue de la flûte et des autres invités à cette soirée toute cléricale, Mre Ward a évidemment imité George Eliot, dont la rapprochent volontiers certaines admirations, excessives selon nous. George Eliot avait plus d’humour, marquait d’un trait plus incisif ses personnages d’arrière-plan. Son émule est loin de posséder au même degré la puissance de faire vivre la foule de comparses qu’elle se plaît à évoquer. C’est la prolixité de George Eliot, sans ses meilleures excuses ; le style abondant, un peu lourd, n’est pas