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ses traits marbrés par les larmes, — je ne renoncerai jamais à l’espérance, je prierai pour toi jour et nuit. Dieu te ramènera, tu ne peux te perdre. Non, non, sa grâce est plus forte que nos volontés. Mais je ne prêcherai pas, je ne persécuterai pas, je vivrai seulement près de toi, et je t’aimerai. Oh ! comment ai-je pu avoir de pareilles pensées !

Elle s’interrompit encore en pleurant comme si pour ce cœur tendre et déchiré le seul crime impardonnable eût été son propre tort, un tort contre l’amour. Quant à Robert, il demeurait muet. Si jamais il avait pu perdre la vision de Dieu, l’amour de sa femme la lui eût rendue en cet instant.

— Je ne me plaindrai pas, dit-elle, pressée par la pieuse impatience de réparer, — et je ne te demanderai pas d’attendre. Je m’en rapporte à ta parole que cela ne remédierait à rien. Mon unique espoir est dans le temps et dans la prière. Je souffrirai, cher, je serai faible quelquefois,.. pardon… embrasse-moi, Robert, je resterai ta femme fidèle jusqu’à la fin.

Il l’embrassa, et de ce triste baiser, plein de pitié, naquit leur nouvelle vie.

Voilà bien Catherine tendre et forte et doucement inflexible ; c’est bien elle encore qui, au milieu d’une telle crise, vaque, sans rien oublier, aux préparatifs d’une fête pour l’inauguration de cet Institut des ouvrière dont Robert a doté le village ; c’est elle toujours qui, avec les sentimens d’une Eve innocente chassée du Paradis, quitte la paroisse où elle s’était fait bénir. D’ailleurs, la malheureuse ne soupçonne pas que Robert lui demandera encore d’autres sacrifices : il compte s’établir à Londres pour y achever son livre après avoir rompu avec l’église, voilà tout ce qu’il lui a dit.

Un détail très piquant, très humain, très bien observé, c’est la mauvaise humeur que cause au squire cette rupture dont il devrait pourtant s’attribuer la responsabilité.

— Pourquoi briser votre vie de cette façon absurde ? dit-il à Elsmere qui vient prendre congé de lui. A qui feriez-vous tort, je vous le demande, en gardant votre bénéfice ? C’est l’affaire du penseur de débarrasser son esprit des toiles d’araignée qui l’obstruent ; mais l’affaire d’un homme pratique, c’est aussi de vivre. Si j’avais votre tempérament d’altruiste, je n’hésiterais pas une seconde. Ces expressions historiques d’une tendance éternelle chez les hommes me seraient tout à fait indifférentes. Vous avez secoué les sanctions de l’orthodoxie, traitez maintenant les mots selon leur mérite. Vous aurez toujours assez d’Évangile en vous pour le prêcher.

— Non, répond Robert, mon point de vue n’est nullement le vôtre. Les mots, si vous entendez par des mots les formules