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ramène, après un jour de battue, trois ou quatre voitures chargées de gibier. Il vous enseignera aussi l’art de chasser le coq de bruyère, dont il nous décrit les mœurs. Tschudi, si je ne me trompe, a prétendu que cet oiseau célèbre adorait le soleil à son lever ; c’était une erreur. Lorsqu’au point du jour, perché sur une branche de pin, il chante à tue-tête, c’est pour appeler autour de lui ses nombreuses sultanes, auxquelles il se révèle dans sa gloire, se hérissant, s’ébouriffant, déployant sa queue en éventail comme un paon. La religion que professe le tétras est celle du printemps et de l’amour, qui est la seule vraiment universelle.

Les amateurs de beaux-arts trouveront dans le livre de M. Grad la description détaillée et savante de tous les monumens, châteaux et églises, qui abondent en Alsace, et du Musée des Unterlinden, à Colmar, où l’on peut étudier mieux qu’ailleurs les vieux maîtres allemands, précurseurs de Dürer et de Holbein. Ceux qui s’intéressent davantage à la peinture des mœurs lui sauront gré de tous les renseignemens qu’il nous donne sur la vie de l’ouvrier dans les cités industrielles, sur les schlitteurs, qui, du haut des montagnes, transportent dans leurs traîneaux jusqu’aux chantiers de vente accessibles aux voitures le bois abattu et coupé, sur ces pâtres nommés marcaires, qui, vêtus d’une veste en toile de chanvre, coiffés d’une calotte de cuir ronde, fabriquent les fromages dans les pâturages élevés des Vosges.

Ces marcaires sont d’un tempérament peu communicatif ; mais si vous réussissez à vous gagner leur confiance, ils vous raconteront beaucoup d’histoires. Ils vous diront qu’aujourd’hui encore toutes les sorcières de la vallée se donnent rendez-vous sur le grand Wurzelstein, qu’on les y voit arriver, le mercredi et le vendredi de chaque semaine, chevauchant à travers les airs sur leurs manches à balai. Le diable tes y attend au coup de minuit, la plate-forme du rocher se transforme en salle de fête, et sorcières et démons dansent des rondes jusqu’au premier chant du coq. M. Grad est monté au Wurzelstein, mas il n’y a point rencontré de sorcières. Il n’a pas vu non plus les nains du Kerbholtz, grands amis des marcaires. Quand, leur saison finie, les pâtres redescendent dans la vallée, ces mystérieux petits bonshommes des remplacent et se livrent, à leur tour, à la fabrication des fromages. Leurs vaches laitières, invisibles à l’œil nu, paissent des herbes aromatiques, à l’abri des neiges, jusqu’à la Saint-George, et c’est ainsi que de temps immémorial les choses sont exploitées en été par les hommes, en hiver par les nains.

Dans le massif du Grand-Ballon., on vous dira l’histoire de l’ondine Géfione, changée en truite. Quand l’orage éclate, quand le tonnerre gronde, elle apparaît à la surface de son lac, le dos couvert de mousse et surmonté d’un sapin ; aussitôt la tempête s’éloigne et