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C’est justement, en effet, au moment de la réapparition de ces intrépides explorateurs de l’Afrique, c’est à ce moment que se réunit à Bruxelles la conférence dont le roi des Belges a pris l’initiative, où se trouvent représentées toutes les puissances qui ont pris part à la constitution du Congo. Qu’est-ce que cette conférence ? Ce n’est qu’un incident de cette croisade nouvelle contre l’esclavage, qui est devenue comme le point d’honneur des nations civilisées. Toutes les puissances peuvent ne pas avoir les mêmes intérêts, les mêmes vues ; elles peuvent transporter leurs antagonismes jusque dans leurs entreprises coloniales en Afrique : elles sont au fond unies par la même pensée de cerner dans ses derniers refuges un fléau que Mgr Lavigerie, un des premiers depuis quelques années, a signalé d’un accent ému dans ses descriptions pathétiques des misères de ces populations livrées à la servitude, des barbaries de ce trafic de créatures humaines. Les éloquens appels du Mgr Lavigerie n’ont pas peu contribué sans doute à préparer la conférence de Bruxelles. Malheureusement, si l’on est d’avance d’accord sur l’existence du mal, sur l’iniquité et le danger de cette offense à l’humanité, il n’est pas aussi facile de s’entendre sur les moyens sérieux, pratiques et efficaces de combattre ce mal. La conférence à laquelle préside le roi des Belges, qui s’ouvre du moins sous ses auspices, a, en apparence, un objet modeste qui est dans tous les protocoles depuis plus d’un demi-siècle : la répression de la traite. En réalité, c’est l’esclavage qu’on veut atteindre dans tout ce qui l’alimente et le propage ; mais c’est ici que la question devient épineuse, qu’elle se complique de toute sorte d’autres questions : droit de visite, mesures de police pour arrêter au passage le trafic des esclaves. L’écueil, pour cette conférence de Bruxelles, est de trop se restreindre à des détails, à des moyens partiels et inefficaces ou de trop s’étendre et de se perdre dans des combinaisons chimériques. Elle a dans tous les cas cet avantage supérieur d’être une sorte de terrain neutre où toutes les puissances civilisées peuvent se rencontrer en dehors de tout ce qui les divise.

L’esprit de révolution souffle où il veut ; s’il ne souffle pas pour le moment en Europe, il vient de souffler au-delà de l’Atlantique, dans le seul état de l’Amérique du Sud qui eût le privilège d’avoir échappé à l’épidémie des révolutions et des coups d’état depuis son émancipation. Il y a quelques jours encore, cet état privilégié, le Brésil, était un empire, une monarchie, la dernière monarchie existant au milieu de toutes les républiques sud-américaines ; aujourd’hui, il y a une république de plus dans le Nouveau-Monde. L’empire et l’empereur ont disparu dans une sédition improvisée ou préparée, dont la ville de Rio-de-Janeiro semble avoir été la spectatrice presque indifférente encore plus que la complice.