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anticipée de sa majorité. On ne peut pas dire assurément que les premières années des régences contestées et même du règne personnel de dom Pedro aient été toujours paisibles. Le jeune empire a été longtemps et souvent agité. Il a eu à faire face à des insurrections, même à des insurrections républicaines dans les provinces ; il a eu aussi des querelles avec les républiques voisines, et la plus grave, la plus récente de ces querelles a été cette longue, meurtrière et coûteuse guerre que le Brésil a soutenue pendant des années contre le Paraguay. Depuis longtemps cependant le Brésil a retrouvé la paix, et, avec la paix, il a eu des années de prospérité sous le plus libéral des régimes. Le règne de dom Pedro, ce règne de plus de cinquante ans, a été, à n’en point douter, une époque florissante, une ère de développement moral et matériel pour l’empire. L’empereur lui-même aimait à s’occuper de toutes les améliorations, de tous les progrès, des écoles, des institutions de bienfaisance, des chemins de fer. C’était un esprit éclairé et bienveillant, ami des sciences, un peu philosophe, très philanthrope, et c’est lui surtout, qui, par une action aussi généreuse que prévoyante, avait longuement préparé cette grande, cette libérale et humaine mesure de l’abolition de l’esclavage, proclamée l’an dernier pendant une de ses absences. Il avait créé, à ce qu’il semblait, une assez grande sécurité pour se permettre ces voyages qui l’ont plusieurs fois conduit à Paris, et on ne pouvait pas croire en Europe qu’un prince à l’esprit si libre, aux intentions si droites, pût être menacé dans son empire.

Comment donc cette révolution d’hier s’est-elle accomplie si aisément ? Il faut bien qu’il y eût quelque décevant mirage dans ces affaires brésiliennes et que, sous des apparences spécieuses, il y eût des malaises, des fermentations. Dom Pedro, dit-on, s’occupait trop peu de l’armée ; il n’avait aucun goût pour l’esprit militaire et il a laissé se développer des habitudes, des instincts d’indiscipline dont les ambitions déçues et impatientes ont pu se servir contre lui. Certes, la libération des esclaves est un acte généreux, prévoyant, de l’empereur, et on n’oserait pas avouer que l’abolition de l’esclavage a été une des causes de la révolution ; il n’est pas moins vrai que cette mesure émancipatrice a suscité parmi les anciens propriétaires d’esclaves, atteints dans leur fortune, des irritations, des mécontentemens dont les chefs du dernier mouvement ont profité. Peut-être aussi a-t-on laissé l’opinion s’accoutumer un peu trop à ne voir dans l’empereur qu’un souverain viager et à se détacher de la dynastie, des princes destinés à hériter de la couronne, de la princesse impériale et du comte d’Eu. De sorte qu’au dernier moment, tout s’est réuni pour faciliter ce mouvement militaire et républicain qui a emporté l’empereur et l’empire. Maintenant c’est fait, la révolution est accomplie, la république est proclamée à Rio. Malheureusement, au Brésil comme partout, c’est