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sur Milan (dût-il être battu). On ne laissait à Maillebois qu’un faible contingent espagnol pour continuer, sous ses ordres, l’occupation de Valence et le blocus de la citadelle d’Alexandrie. De son côté, le ministère français fit défense à Maillebois de suivre cette course imprudente. Ainsi, la désunion était patente : la concentration, cette sage manœuvre qui avait assuré le succès, était détruite : les armées alliées, répandues sur une ligne d’opération d’une étendue démesurée, ne pouvaient plus s’appuyer ni se seconder l’une l’autre. L’armée française, laissée seule et obligée, pour maintenir ses communications, de conserver des corps détachés en observation sur les rives de la Méditerranée et en vue des passages des Alpes, ne pouvait plus elle-même pourvoir qu’insuffisamment à la défense des points occupés. En un mot, la situation, tout à l’heure si forte, redevenait très précaire ; si l’ennemi reprenait ses sens, on était à la merci d’un coup de surprise ou d’audace.


II

D’Argenson avait plus d’un motif pour être vivement contrarié de l’envahissement du Milanais, fait si imprudemment par les généraux espagnols. Car, quelle que fût la conséquence de cette téméraire entreprise, — qu’elle fût couronnée de succès et aboutit à mettre entre les mains d’Elisabeth la moitié de la Lombardie, ou bien que Charles-Emmanuel, averti de l’imprudence, en profitât pour rétablir lui-même ses affaires désespérées par un acte de vigueur, — l’une et l’autre hypothèse contrariaient également un vaste plan auquel le ministre français travaillait au même moment avec ardeur et dont il attendait, en même temps que le bien de l’Europe et de la France, l’éternel honneur de son nom. Ce projet, très largement conçu, comme on va le voir, consistait à détacher le roi de Sardaigne de l’alliance de Marie-Thérèse pour le faire entrer dans une ligue de tous les princes italiens tendant à affranchir la péninsule de la domination autrichienne. Aussi, quand il affirmait à Vauréal (comme nous venons de l’entendre dire tout à l’heure) qu’il ne connaissait le roi de Sardaigne ni d’Eve ni d’Adam et n’échangeait avec lui aucune parole, ce langage, qui n’était qu’à moitié conforme à la vérité en août, ne l’était déjà plus du tout trois mois après, en décembre. À ce moment, au contraire, une négociation était bien engagée à Turin, même très vivement poussée et à la veille de réussir.

Avec tout autre qu’un fils de Victor-Amédée, la proposition de passer, en pleine guerre, d’une alliance à la contraire aurait été embarrassante à faire et sûrement repoussée. Mais à l’héritier du prince qui avait dû son titre royal à plus d’une transaction et d’une transition de ce genre, l’offre pouvait être faite