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C’était, en termes un peu vagues mais au fond très clairs, condamner l’armée française à l’inaction absolue, puisque le corps de la lettre recommandait de ménager les Piémontais et que le postscriptum donnait le même conseil pour les Autrichiens. Dans ces conditions, un armistice, régulièrement établi, eût été bien préférable, car l’engagement eût été au moins réciproque. En donnant pleine sécurité aux Piémontais, la France eût aussi garanti la sienne ; résignée à ne pas agir, elle n’aurait pas laissé la liberté d’agir contre elle.

La concession n’ayant pour but que de calmer l’impatience du roi de Sardaigne, Champeaux lut naturellement autorisé par ses-instructions à lui en faire part, et ce ne fut pas la seule précaution qu’on lui permît de prendre pour assurer sa bienvenue. Il dut également laisser entendre que, si l’Espagne refusait son adhésion aux points convenus, on donnerait au maréchal de Maillebois l’ordre de rentrer en France avec son armée et de priver l’infant de tout secours. Au dernier moment cependant, le rédacteur de ces instructions semble enrayé lui-même de la gravité d’un pareil engagement, car il ajoute entre parenthèse : « Cette assurance ne devra être donnée que de bouche et non par écrit[1]. »

Laissons repartir maintenant pour Turin avec ces instructions compromettantes Champcaux, déguisé cette fois non en ecclésiastique, mais en marchand hollandais, et tournons nos yeux vers Madrid, où la bombe allait enfin éclater.


Duc DE BROGLIE.

  1. voici le passage des instructions données à Champeaux, qui ne laisse aucun doute sur la double communication faite confidentiellement à Charles-Emmanuel et dont celui-ci devait si tristement abuser : a Le roi donnera cependant des ordres secrets au maréchal de Maillebois afin que ce général use, en attendant l’acquiescement de l’Espagne, de tous les ménagemens convenables à l’égard des troupes du roi de Sardaigne ; M. de Champeaux ne doit pas lui laisser ignorer que, dans le cas où la cour de Madrid ne voudrait pas adhérer au traité qui aurait été conclu entre le roi et le roi de Sardaigne, Sa Majesté se déterminerait à rappeler sur-le-champ l’armée que commande M. de Maillebois. (Cette assurance ne devra être donnée que de bouche et non par écrit.) ! — De plus, une lettre écrite par Champeaux avant son départ de Paris (17 Janvier) fait voir que c’est à la demande de Montgardin que fut faite la recommandation adressée au maréchal de Maillebois pour lui interdire tout mouvement.