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sagesse pratique, leurs diplomates savent s’y faire une place. Ils commandent l’estime par leur sûreté et démêlent avec une rare perspicacité l’attitude qu’il leur faut tenir en face d’hommes rompus aux finesses du métier. Ils prennent leur rang parmi eux sans jactance, sans fausse humilité. C’est ainsi que Ter Borch les a représentés dans son célèbre tableau du Congrès de Munster. L’orgueil en cette circonstance leur serait pourtant bien permis : ils sont arrivés à leurs fins, et après une lutte héroïque, ils ont forcé leurs anciens dominateurs à consacrer leurs droits par un traité solennel. Leur maintien cependant reste grave, recueilli, plein de dignité et de courtoisie ; n’étaient leurs costumes plus sévères, on aurait quelque peine à distinguer les vainqueurs des vaincus.

Le dévoûment à la chose publique est la règle de tous. Ce sentiment de solidarité qui règne entre les citoyens donne à la personne même et aux traits du visage une noblesse naturelle. De simples particuliers semblent des personnages ; on les sent capables de grandes choses. A voir ces hommes vêtus de noir que Rembrandt nous montre réunis autour d’une table, vous diriez les premiers magistrats de la nation, conférant entre eux de ses destinées, dans une de ces occasions solennelles qui décident de la vie d’un peuple. Ce sont simplement les syndics des drapiers d’Amsterdam qui s’occupent des menus intérêts de leur corporation. Mais ces intérêts touchent par plus d’un point à ceux mêmes du pays tout entier, et ces hommes sont aptes à juger dans quelle mesure ils peuvent s’accorder avec ceux-ci. A l’ordre, à la probité la plus scrupuleuse, à une constante vigilance, ils joignent l’intelligence et la décision ; toutes ces qualités ne font-elles pas la sécurité et la grandeur d’un état où, sans se payer de chimères, ni d’abstractions, l’on vise des résultats positifs ? Ces détails professionnels bien compris, et cette expérience des transactions donnent à ceux qui seront appelés dans les conseils de la nation des vues plus étendues, et ces esprits actifs, solides, pondérés, se préparent ainsi à traiter les affaires publiques. A certains momens d’ailleurs, et bien qu’ils sachent compter et qu’ils se montrent sagement économes des fonds qu’ils administrent, ces petits bourgeois sont magnifiques et s’il s’agit, au nom de leur ville ou de la république, de recevoir des princes ou des souverains, comme les ducs de Holstein et de Brunswick et le roi de Bohème, ou de rendre hommage à Marie de Médicis à son arrivée en exil, ils n’épargneront ni leur peine, ni leur dépense, et leur hospitalité sera digne de leurs hôtes. Aussi, suivant la remarque de M. Springer[1], même

  1. Bilder aus der neueren Kunslgeschichte, par Ant. Springer, 2 vol. in-8o ; Bonn, 1886. t. II, p. 171 et suiv.