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les plus éminens de leur pays, ils avaient voyagé à l’étranger, et tout ce qu’une bonne éducation peut ajouter à des qualités natives, ils l’avaient acquis. Avec cela, modestes, d’une urbanité parfaite, très attachés à leurs princes, ils les servaient avec une intelligence et un dévoûment qui tournaient au bien et à la grandeur de leur patrie.

À côté de cette famille, combien d’autres mériteraient d’être citées pour l’élévation de leurs goûts, pour leur amour de l’étude et leur souci constant d’être utiles à leurs concitoyens ! On comprend le prestige que devait avoir une élite d’hommes pareils, la plupart unis par une étroite amitié, et guidés dans leurs déterminations par les motifs les plus nobles. Parmi cette élite, les femmes tenaient leur place avec, honneur. Déjà, pendant la période héroïque, elles avaient joué un grand rôle et, lors de la guerre de l’indépendance, elles s’étaient montrées les dignes compagnes des défenseurs d’Alkmar, de Leyde ou de Harlem. Le nom de Kenau Hasselaer était désormais immortel, et c’est aux applaudissemens de tous que Vondel, dans sa tragédie de Gysbrecht van Amstel, mettait sur les lèvres de l’intrépide Badeloch l’expression des sentimens héroïques dont elles étaient animées. Les chansons populaires exaltaient à l’envi les jeunes filles hollandaises qui demandaient à porter les armes contre l’ennemi et à servir sur les vaisseaux comme des matelots. Après avoir ainsi concouru à la délivrance, elles avaient contribué à former la société polie. Entre toutes, les filles de Roemer Visscher étaient renommées ; et, dans ces derniers temps, un grand nombre de publications ont été consacrées à l’étude de leur vie et de l’influence qu’elles ont exercée. Elles aussi avaient reçu une éducation raffinée. Leur père, un négociant catholique originaire d’Anvers et fixé à Amsterdam, était, comme son compatriote et ami Hendrik Spieghel, un homme instruit, ami des lettres, poète même à ses heures, qui, par ses propres écrits, avait aidé à la correction et à l’assouplissement de la langue. Sa maison était le rendez-vous de tous les esprits distingués de ce temps, et son affabilité, son libéralisme, y attiraient également protestans et catholiques, assurés les uns et les autres de la cordialité d’un accueil pareil. De ses trois filles, deux surtout sont connues, Anna et Maria[1]. Curieuses de toutes les choses de l’esprit, excellant dans la broderie, la calligraphie, la musique, assez habiles à modeler, elles étaient en même temps charmantes de grâce et d’amabilité. Les hôtes de la maison paternelle étaient leurs admirateurs, et parmi eux Heins, Coornhert, Hooft, Cats,

  1. Cette dernière, née l’année même où un désastre maritime en vue de l’île de Texel avait causé des pertes assez sérieuses a son père, avait reçu par suite de cette coïncidence le surnom bizarre de Tesselschade.