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italiennes étaient alors à la mode, et la traduction des œuvres de Serlio avait contribué à les répandre. Hendrick de Keyser, qui fut chargé de ce travail, eut à sa disposition un. crédit considérable, et les dépenses montèrent au total de 7,825,000 florins[1]. Tous les matériaux lurent tirés du, dehors : on abattit en Norvège des forêts entières pour les pilotis ; les blocs de pierre venaient de Bentheim ou de Brème et les marbres d’Ecosse. Mais il faut bien le reconnaître, ce cube énorme, régulièrement percé de fenêtres, sans divisions ni saillies bien marquées, dépourvu de jardin, de cour d’honneur et d’entrée principale, constitue un édifice d’une simplicité architecturale par trop élémentaire, qui manque absolument de style et ne répond guère a la dépense faite.

En revanche, à Amsterdam même, on peut signaler dans un grand nombre d’habitations particulières des spécimens d’un art local ayant un caractère mieux accusé. Il semble à première vue que ces maisons de, hauteur généralement égale, rangées symétriquement de chaque côté des canaux, sont toutes pareilles. Mais en dépit de cette similitude apparente, quand on y regarde de plus près, chacune a sa physionomie particulière et nous révèle quelque chose des habitudes ou des occupations de celui qui y demeure. Sur les façades historiées qui découpent sur le ciel la silhouette de leurs pignons taillés en gradins ou arrondis en volutes, des ornemens, des devises, des attributs variés rappellent sa profession, ses goûts, ses opinions politiques ou ses croyances religieuses. Entrez dans ces logis, généralement de proportions assez restreintes, même dans les quartiers aristocratiques ; vous serez frappé du bon parti qu’on a tiré de leur emplacement et du confortable qui y règne. Avec une certaine analogie dans leur distribution. Vous remarquerez la propreté de tous et le luxe sans ostentation de quelques-uns, ces cuivres toujours reluisans, ces marbres variés qui garnissent les parois ou qui forment le dallage des antichambres, ces escaliers dont les rampes sont sculptées en plein dans le palissandre, l’acajou et les bois les plus précieux. Les peintres d’intérieur nous ont familiarisés avec le mobilier de ces appartenions où, chaque, chose est en ordre, à sa place habituelle. Les tableaux en font le principal ornement. Placés un peu haut, au-dessus des boiseries, des cuirs gaufrés ou des carreaux de faïence dont sont revêtues les murailles, ce sont des peintures de dimensions moyennes, lumineuses et claires pour être bien vues sous une lumière avare, encore tamisée par les arbres du quai voisin. D’ordinaire, leur, exécution est soignée, et leur uni précieux, bien digne de la patrie de Leuwenhoeck et de Swammerdam, est tel

  1. Un peu plus de 10,400,000 francs ; chiffre énorme pour cette époque.