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la lumière, et si leur transparence n’est pas irréprochable, il est facile du moins de produire ce résultat au moyen d’une simple filtration. Il n’en est pas de même du lait, opaque même sous une faible épaisseur et que le filtre ne saurait clarifier ; mais le lait présente une autre particularité.

Puisez au moyen d’une pipette de laboratoire le vin d’une bouteille reposant depuis plusieurs mois au fond de la cave ; recueillez par l’intermédiaire d’un tâte-vin plusieurs échantillons d’un même tonneau, vous aurez beau aspirer les couches inférieures, moyennes, supérieures, vous recueillerez toujours des prises semblables entre elles à d’infimes divergences près. L’essai de tous les autres fluides que nous venons d’énumérer aurait fourni le même résultat.

Au contraire, une simple fille de basse-cour apprendrait aux rares personnes qui ne le savent pas que tout lait de vache abandonné au repos dans un local suffisamment frais se divise spontanément au bout de quelques heures en deux couches hétérogènes superposées d’épaisseurs très inégales. Vers le haut du vase surnage la « crème, » relativement épaisse et visqueuse ; plus bas se concentre le « lait écrémé, » aqueux et fade, dont les propriétés trop connues de la foule des consommateurs des grandes villes ne diffèrent pour ainsi dire pas du lait ordinaire coupé d’eau. La crème, d’où l’on extrait ensuite le bourre par « barattage, » diffère en somme du lait pur par sa plus grande richesse en substance grasse.

Ce sont précisément ces madères onctueuses concentrées dans la crème, qui, séparées en globules extrêmement petits et flottant à l’intérieur du lait primitif, déterminent l’opacité de ce liquide. Examinée au microscope, une goutte de lait laisse Voir ces innombrables vésicules, arrondies et luisantes comme les « yeux » du bouillon et renvoyant fortement la lumière. A peine un rayon lumineux venant du dehors a-t-il dépassé la surface liquide que des réflexions multipliées le chassent au dehors[1]. Telle est la cause de l’opacité absolue du lait ; quant à la nuance jaunâtre que tout le monde a remarquée, elle dérive de la couleur propre aux sphérules de beurre.

Suivant la majorité des auteurs, le lait formerait émulsion,

  1. On compte en moyenne 2,400,000 globules pur millimètre cube de lait. De pareils nombres pourront sembler fantaisistes : cependant, rien de plus simple que d’apprécier un chiffre aussi énorme. Il suffit, au moyen d’un compte-gouttes, de mêler une seule goutte de lait à cent gouttes d’eau distillée, de prélever une goutte de ce mélange cent fois plus pauvre en globules gras que le lait primitif, et de l’étudier avec un microscope dont l’oculaire quadrillé facilite le dénombrement des disques. Il est clair qu’il faut recommencer plusieurs fois et prendre des moyennes)