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antiseptiques, sont doués d’une saveur moins prononcée que le chlorure de sodium, et par cela même sont beaucoup plus dangereux. Mais, en revanche, rien de plus facile que de retrouver ces drogues une fois entraînées dans le résidu aqueux. D’autres fois, le fraudeur mélange à la pâte de l’alun, du verre soluble (silicate de potasse), corps très avides d’eau et par cela même propres à accroître le poids de la motte, ou bien il incorpore au beurre de la craie, du plâtre, de l’argile. L’alun, la plus malfaisante de toutes ces matières, possède un goût assez accentué ; les autres sels sont insipides. Tous se retrouvent soit à l’état de dissolution dans l’eau extraite du beurre, soit mêlés à cette eau, et s’offrent d’eux-mêmes à l’épreuve des réactifs de l’opérateur.

A la vérité, s’il faut en croire les rapports de M. Girard, les falsifications de ce genre ne sont pas très communes, non plus que celles qui consistent à mêler au beurre pur de l’amidon, de la farine, de la pulpe de pommes de terre, du fromage blanc. Le chimiste s’apercevra sans peine de la tromperie en agitant avec de l’éther sulfurique le beurre desséché à 100 degrés. Farine, amidon, fécule, fromage blanc refuseront de se dissoudre et se rassembleront en dépôt au fond du vase. Mais l’expert aura besoin de mettre en jeu toute son habileté, si le beurre est « artificiel » en tout ou en partie, c’est-à-dire s’il a été fabriqué sans l’aide du lait de vache ou s’il comporte l’addition d’oléomargarine. Par malheur, cette variété de fraude est à la fois la plus commune, la plus dangereuse et la plus profitable au sophistiqueur.

Il y a trente années, alors que la chimie des corps gras était moins avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui, on ne savait pas distinguer bien nettement les trois élémens qui dominent dans toutes les matières grasses ; on croyait celles-ci essentiellement formées d’oléine, principe liquide, et de margarine, principe solide ; plus tard seulement il a été reconnu que la margarine elle-même se composait de stéarine et de palmitine. Simple ou non, la margarine forme la base des graisses animales, plus consistantes que les beurres, et surtout que les huiles. Cette circonstance suffit à expliquer le terme de beurre de margarine, qu’un chimiste, M. Mège-Mouriès, appliqua à un produit artificiel retiré de la graisse de bœuf ou du suif de mouton, et destiné à suppléer le beurre de vache. Comme, par le lait, une semblable substance contient aussi de l’oléine, on dit quelquefois plus correctement « bourre d’oléomargarine. »

L’inventeur du beurre artificiel ne s’était nullement proposé de fabriquer industriellement un produit destiné à remplacer le beurre véritable, pour toutes les préparations culinaires. Agissant avec des intentions philanthropiques et désintéressées, il voulait