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variété spéciale de fraude assez pratiquée dans les grandes villes. Durant la période des chaleurs, le lait « tourne » facilement, par suite de la transformation de la lactose en acide lactique. Nous savons que, pour obvier à cet inconvénient, les laitiers ajoutent au liquide un peu de bicarbonate de soude ; du reste, ce sel est innocent de sa nature, ce qui fait qu’une semblable pratique n’entraîne par elle-même aucun inconvénient tant que la dose de bicarbonate sodique introduit ne dépasse pas un demi-gramme par litre.

Tous les anas possibles racontent l’histoire du pantalon trop long, successivement raccourci par trois domestiques zélées, opérant chacune à l’insu de l’autre et du propriétaire du vêtement, de telle sorte que celui-ci finit par être transformé en simple culotte. C’est justement l’inverse de ce qui a lieu pour le bicarbonate de soude. Comme les intermédiaires successifs par les mains duquel passe le lait se préoccupent fort peu de la constitution chimique du liquide, il peut arriver que chacun, de son côté, ajoute une dose nouvelle de sel préservateur, sans se douter que le lait en contient déjà, et l’on a vu des échantillons renfermer jusqu’à huit grammes (par litre) de bicarbonate sodique[1].

Un aliment ainsi manipulé n’empoisonne pas ; mais, en le chauffant, il s’en dégage aussitôt une odeur de lessive très peu agréable qui le rend impropre à la consommation. L’expertise chimique devient alors superflue. Mais avec une dose moindre de bicarbonate, bien que supérieure encore à la tolérance prescrite, l’emploi journalier d’un pareil lait présente à la longue des inconvéniens. Dès lors, le praticien se basera sur le degré d’alcalinité du résidu incinéré, sur la vivacité plus ou moins grande du phénomène d’effervescence qui se produira en arrosant les cendres d’acide chlorhydrique[2] ; il constatera l’augmentation anormale du poids de ces mêmes cendres comparées avec celles d’un lait authentique ; néanmoins le problème reste très difficile à résoudre et les résultats ne conduiront pas toujours à des conclusions évidentes.

Les fraudeurs ont eu recours à l’emploi d’autres drogues antiseptiques : le borax, l’acide salicylique ; mais alors la falsification se manifeste aisément à l’aide de réactifs très sensibles.

  1. A la température d’ébullition, le sel de vichy passe à l’état de carbonate de soude (vulgo sel de soude) en perdant du gaz carbonique.
  2. L’acide chlorhydrique, réactif très puissant, chasse instantanément l’acide carbonique du carbonate de soude qui s’échappe sous forme de bulles. Si le phénomène est très peu accusé et qu’on soit on hiver, le chimiste a lieu de soupçonner un mouillage fait au moyen d’une eau calcaire dont la chaux s’ajoute à celle que renferme naturellement le lait. Le liquide naturel ne contient pas non plus de soude, mais cette dernière base n’est pas dosable directement.