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III

Dressé en face de ce tableau, l’état présent des choses mettrait en une large saillie la grandeur de l’œuvre accomplie. Mais il serait injuste de procéder ainsi. Cette œuvre, en effet, n’a pas été le fruit soudain d’une génération spontanée. Avant les ouvriers d’hier et d’aujourd’hui, il y a eu les ouvriers de la première heure, de l’heure la plus difficile. Ce qu’ils ont fait doit être dit.

Les vices et les dangers de la situation n’étaient pas sans être vivement sentis de quelques-uns et dans les facultés et en dehors d’elles. On le vit bien le jour où M. Duruy, faisant succéder l’action à l’inertie, essaya de secouer la torpeur. On prit confiance, et les langues se délièrent. On dit tout haut la misère de nos facultés, l’insuffisance de leurs enseignemens, les vices de leur organisation ; en chercha des remèdes ; on proposa des réformes. Il se produisit alors un mouvement d’idées où se trouvaient en germe bon nombre des choses qui se sont faites depuis lors. Si l’on veut s’en rendre compte, il faut lire, entre autres, le rapport de M. Wurtz, au retour de sa première mission aux universités de langue allemande, les Questions contemporaines de M. Renan, les articles de M. Gaston Boissier, publiés ici même[1], et la première Statistique de l’enseignement supérieur.

Il faudrait lire aussi les documens inédits de l’enquête qui précéda la statistique. C’est là qu’on verrait le mieux l’état psychologique des facultés. Beaucoup de ces documens témoigneraient sans doute d’une quiétude et d’un manque de clairvoyance qui étonnent aujourd’hui ; mais d’autres sont moins optimistes, et signalent avec force les défauts, les lacunes, les besoins. Nous ne pouvons les résumer ici ; citons du moins, comme échantillon, quelques fragmens d’un franc et hardi rapport du recteur de Strasbourg, M. Chéruel. « L’esprit universitaire, dit-il, s’est éteint partout… Une école est un faisceau de doctrines que relie un esprit commun, unité féconde qui se prête à la variété des recherches et des résultats. La France a-t-elle bien conservé la religion des hautes études ? A-t-on retrouvé chez nous la filiation des doctrines, leurs fécondes alliances, leur homogène épanouissement ? .. Le voyageur qui visite nos centres académiques y admire surtout l’absence de vingt chaires magistrales qui font la renommée des universités étrangères. Après avoir lu nos programmes, il nous demande ce que nous entendons par académie, et nous prie de lui donner une

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1868 et du 15 août 1869.