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l’art et celle du métier, dans l’immense fatras d’œuvres de tous les genres et de tous les temps qu’on a, depuis vingt ans, déballées autour de nous.

Il y a vingt ans, l’art japonais nous était pour ainsi dire inconnu. Le Japon avait bien accueilli, dès le XVIe siècle, des missionnaires portugais, et, un siècle plus tard, des négocians hollandais. Mais les missionnaires portugais ne paraissent pas s’être fait une idée de l’originalité artistique des barbares qu’ils étaient venus convertir, et les négocians hollandais n’ont jamais connu que d’une façon très imparfaite l’art japonais proprement dit. Gersaint et d’autres écrivains du XVIIIe siècle rapportent que les Bataves n’étaient guère admis à voir les véritables laques du Japon et ne recevaient en cadeau, des princes et de leurs riches cliens, que des objets de seconde qualité. Au lieu de leur montrer leurs produits originaux, qu’ils désiraient tenir à l’abri des curiosités étrangères, les Japonais fabriquaient pour eux des porcelaines et des laques d’un genre particulier, les accommodant de leur mieux aux exigences du goût européen. Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, la majorité de notre public continuait à ne pas soupçonner qu’il y eût au Japon un art national, tout à fait indépendant de l’art chinois, un art ayant, comme celui de l’Italie ou des Pays-Bas, son histoire, ses monumens, ses grandes écoles et ses grands maîtres.

Brusquement, en 1868, les portes du Japon nous furent ouvertes par une révolution qui semblait toute politique, mais qui fut, de même que la révolution française de 1789, le point de départ d’un complet bouleversement des mœurs et de la société. La ruine d’un grand nombre de familles princières jeta entre les mains de marchands illettrés des œuvres qui, durant des siècles, avaient été religieusement cachées. En même temps, les Japonais étaient pris d’une fièvre de nouveauté : ils essayaient de nous imiter en toutes choses, nous empruntaient nos costumes et nos modes, n’avaient d’admiration que pour ce qui venait de chez nous. Avec une facilité dont ils commencent enfin à se repentir, ils sacrifiaient les vieux trésors de leur race. L’occasion était belle : nos marchands ne pouvaient manquer d’en tirer profit. En vingt ans, ils drainèrent le Japon, s’emparant de tout ce qu’ils trouvaient, envoyant cela pêle-mêle à Paris, à Hambourg, à Londres ou à New-York. C’est dans leurs boutiques que nous fut révélé l’art japonais : nous en eûmes l’idée qu’aurait eue un Japonais ignorant tout de notre civilisation et qui aurait vu, entassés dans un bazar de Tokio, un million d’objets européens exportés au hasard. Nous fûmes surpris de la variété et de la richesse d’invention des Japonais, de leur dextérité manuelle ; les défauts mêmes de leur perspective et de leur