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Il ne semble pas, malheureusement, que ces travaux historiques et critiques aient réussi à modifier beaucoup l’opinion établie, et peut-être la faute en est-elle un peu à leurs auteurs, qui, dans un noble zèle d’érudition, n’ont pas assez cherché à les mettre au point de la masse des lecteurs. Les monographies, les revues ne peuvent évidemment convenir qu’à des initiés. Le livre de M. Brinckmann est un simple manuel, un résumé consciencieux, mais froid, des ouvrages antérieurs. Très riche en faits précis et d’une science très sûre, le livre de M. Anderson ne peut guère servir, lui non plus, qu’à des lecteurs déjà éclairés sur la valeur réelle de l’art japonais. Les manières des diverses écoles y sont appréciées avec la sécheresse d’un traité de physiologie ; et nous assistons à la succession des styles sans jamais bien sentir en quoi chacun d’eux est plus ou moins digne de nous intéresser. Seul de tous les historiens européens, M. Gonse a essayé de marquer nettement l’originalité de l’art japonais, les caractères qui le distinguent du nôtre et ceux qui l’y rattachent ; son livre est le seul aussi où l’on trouve un effort sérieux pour classer et pour mettre à leur degré d’importance artistique les différentes écoles. Encore ce livre lui-même se ressent-il de la difficulté qu’a eue l’auteur à débrouiller le chaos des matériaux de tout genre. Il y avait trop de choses à dire, trop de faits à établir, trop de noms à citer. M. Gonse a craint d’être incomplet, et ainsi son histoire est parfois confuse, surchargée d’énumérations[1].

Mais le tort le plus grave de tous ces ouvrages est de n’avoir pas montré suffisamment les liens intimes qui rattachaient l’art du Japon à la race qui l’avait produit. Si les Japonais ont fait l’art qu’ils ont fait, cela tient en partie aux circonstances où ils ont vécu, à la nature qu’ils ont vue autour d’eux : M. Gonse a eu raison de commencer son livre par l’histoire du Japon et sa description physique. Mais les qualités essentielles de l’art japonais dépendent davantage encore de la conception que ses auteurs se sont faite du monde, de leur manière spéciale de sentir et de penser. Ce qu’il nous importerait surtout de savoir et ce que les historiens ont négligé de nous apprendre, ce sont les traits dominans de l’âme japonaise. Quelles raisons psychologiques font différer l’art japonais de l’art chinois, de l’art occidental ? Quel a été le genre de vie des artistes japonais ? Quelle est, dans l’âme japonaise, la part des qualités communes et la part possible de l’individualité ? Autant de questions

  1. Nous ne parlons ici que de la partie qui concerne la peinture : les chapitres consacrés par M. Gonse à la sculpture, à la broderie et à l’industrie des laques sont au contraire d’excellens résumés, où l’énumération des noms d’artistes est, comme il convient, sacrifiée à l’examen des ouvrages caractéristiques.