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modèle aux artistes, était-elle de provenance israélite, ou égyptienne, ou tatare-raongole, ou encore était-ce, comme le croit M. Gonse, une population indienne ou javanaise, et serait-ce la race conquise qui était de provenance mongole ? La vérité est que personne n’en sait rien ; mais il est du moins certain que les Japonais ont commencé, depuis une vingtaine de siècles, à être la race qu’ils sont aujourd’hui, et que, si haut qu’on remonte dans leur histoire, ils ont toujours plus différé des Chinois qu’ils ne leur ont ressemblé.

Ce qu’il importe bien autrement de connaître, c’est le caractère des Japonais, la nature de l’intelligence et des sentimens qui ont été les leurs depuis que leur race s’est trouvée constituée. Les renseignemens ne manquent pas à ce sujet dans les travaux des voyageurs ; mais il faut bien avouer que ce sont des renseignemens un peu contradictoires, et qu’ils ne donnent pas une idée d’ensemble bien nette de l’âme japonaise.

Au dire de saint François-Xavier, les Japonais dépassent en pureté de mœurs et en vertus naturelles toutes les autres nations ; ils sont doux et tendres, loyaux, très soucieux de leur honneur, modérés dans leurs désirs. Le saint ajoute même que jamais il n’a rencontré chez les chrétiens une aussi profonde aversion pour la traîtrise et le vol.

Cent cinquante ans plus tard, le médecin allemand Kaempfer découvre chez les Japonais un ensemble si heureux de qualités natives, qu’il les approuve de s’interdire toutes relations avec les étrangers, ces relations ne pouvant avoir d’autre effet que d’altérer la naïve perfection de leurs mœurs. Le trait qui semble l’avoir frappé le plus vivement, parmi cent traits qu’il relève avec admiration, est l’indifférence des Japonais devant la mort, leur facilité à sacrifier leur vie pour les motifs les plus désintéressés, souvent même les plus futiles : trait d’autant plus singulier, en effet, qu’il s’accompagne d’une humeur très douce et très joviale.

Plus réservé déjà est le jugement d’un autre médecin de la factorerie hollandaise, le Danois Thunnberg, qui vécut au Japon près d’un siècle après Kaempfer. Celui-là reproche aux Japonais leur méfiance à l’égard des étrangers, leur manque de franchise, leur caractère vindicatif. Il reconnaît cependant que la somme de leurs bonnes qualités est supérieure à celle des mauvaises, et qu’il y a au fond de leur âme une ingénuité charmante.

Mais c’est surtout dans les témoignages des voyageurs contemporains que se manifeste le désaccord des opinions sur le caractère japonais. Tandis que M. H. Maron oppose à la lâcheté et à la bassesse des Chinois la délicate droiture des Japonais et que M. le baron de Hubner s’étonne des vertus morales qu’il rencontre chez