Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

(5 REVUE DES DEUX MONDES. Des fanfares et des abois éclatent tout à coup, comme pour sa- luer le triomphe définitif du soleil, qui, enfin dégagé de ses voiles de vapeur, s’élève radieux au-dessus des halliers et des futaies. Pays de chasse, cette région montueuse et boisée de l’Àrgonne est pourtant rude aux veneurs, même dans ses parties les moins couvertes et les moins abruptes. Mais le baron de Buttencourt- Rubécourt ne plaint pas sa peine et ne ménage ni ses chevaux, ni ses chiens. Trois ou quatre fois par semaine, durant toute la sai- son, on découple, à moins de neige. — Et l’équipage de Rubécourt, dont les couleurs sont connues et populaires dans un rayon de quinze lieues, découple rarement en vain. Dix-cors ou jeune tète, vieux solitaire ou ragot, il faut que la bête de chasse soit bien re- torse, bien agile ou bien favorisée du sort pour échapper aux chiens et au couteau ou à la carabine du baron. Nul faste inutile, d’ailleurs, en ces chasses fréquentes, sévère- ment menées, presque austères; nul déploiement de luxe intem- pestif, aucune trace de ce désir habituel et banal de jeter de la poudre aux yeux, lequel est l’ordinaire raison d’être de la plupart des grandes chasses à courre. Pas d’étalage de personnel, de mon- tures, de meute ni d’invités ; deux piqueurs, un valet de limier, un valet de chiens, six chevaux et quarante bons griffons vendéens à tout faire : rien que le nécessaire en hommes, en chevaux, en chiens, avec un évident souci, toutefois, de la correction technique. Une pointe de chic, si l’on veut, mais seulement ce qu’il en faut pour que le noble passe-temps ne tombe pas à l’apparence d’un métier et ne soit point ravalé au rang d’oeuvre servile. Cependant, en l’honneur de la Saint-Hubert, on a convié quelques terriens ou hobereaux du voisinage, qui, joints aux rares hôtes du château, formeront un bon contingent pour la chasse solennelle du jour. — Par exception, et à cause de la messe, le rendez-vous est au château. Bientôt des voitures arrivent, et des chevaux sellés, quelques- uns habillés de drap galonné que timbre, à l’angle, une initiale ou une couronne, ou les deux ensemble. Puis des fanfares, une courte procession, maigre cortège se rendant à l’église du village, à la petite église qui fut la chapelle de l’ancien château. Enfin, après la messe de saint Hubert, un suprême déchaînement des trompes sonnant la Rubécourt. Et voilà tout le monde à cheval, — ou presque tout le monde. Seule, en effet, une grande et belle jeune fille, qui porte pour- tant avec grâce, sinon avec crânerie, l’habit vert-bouteille à revers, paremens et retroussis amarante, ne paraît témoigner aucun em- pressement à se mettre, ou plutôt à se faire mettre en selle.