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sujets. Elles représentent le plus souvent, avec mille détails instructifs, les épisodes fameux de la vie des sages, des héros, des prêtres du Japon, les scènes des légendes et des romans, des danses, des fêtes, des cérémonies de la cour impériale.

L’école de Tosa détenait déjà depuis trois siècles l’enseignement de la peinture au Japon lorsqu’elle vit se dresser devant elle une école rivale, destinée à la surpasser bientôt en renommée aussi bien qu’en mérite artistique. Cette école eut pour promoteur un prêtre de la fin du XIVe siècle, Josetsou : c’est dans l’atelier de Josetsou que se sont formés trois artistes éminens, Shiouboun, Sesshiu et Kano Masanobou ; et, comme chacun de ces trois peintres a produit à son tour des élèves célèbres, il y a eu au XVe siècle, en face de l’école de Tosa, trois écoles distinctes, l’école de Shiouboun ou école chinoise, l’école de Sesshiu et l’école de Kano. Mais si les trois chefs de ces écoles différaient l’un de l’autre par la nature de leur génie, ils avaient adopté des manières pareilles, le même ordre de sujets, les mêmes principes généraux, de sorte que l’on peut confondre leurs trois écoles dans une seule, celle de Kano. L’école de Shiouboun et celle de Sesshiu, en effet, n’ont duré que peu de temps, tandis que l’école de Kano est vite devenue et restée jusqu’à nos jours la rivale de l’école de Tosa, la seconde des deux grandes académies nationales.

Le principe commun à tous ces artistes est le respect superstitieux de l’art chinois, et en général de la Chine. Voilà, semble-t-il, un point de départ fâcheux pour une école nationale japonaise, et c’est ce que les ennemis de l’école de Kano n’ont pas manqué de lui reprocher. « N’est-il pas honteux, écrivait au XVIIIe siècle le fameux peintre-graveur Soukenobou, d’adorer un pays étranger et de mépriser le sien propre ? » Mais la vérité est que l’adoration de la Chine n’a pas empêché les élèves de Josetsou de créer un art tout japonais. L’un d’eux, Sesshiu, est allé en Chine : plein d’un zèle pieux, il a cherché un professeur parmi les artistes les plus renommés ; et son biographe nous raconte que, dégoûté de leur enseignement, il s’est bientôt résolu à ne demander des leçons qu’aux montagnes, aux rivières et aux arbres du pays. C’est uniquement aux montagnes, aux rivières et aux arbres du vaste royaume de leur fantaisie que les contemporains et les successeurs de Sesshiu ont demandé des leçons. Leur âme, incapable d’abstraction, avait besoin de donner un nom à son idéal et de s’appuyer, dans son développement, sur un ensemble de règles très précises ; elle a donné à son idéal le nom de la Chine, et dans l’art de la Chine elle est allée se choisir des règles, pour les accommoder ensuite au gré de ses moyens. C’est ainsi que la Chine a été pour ces peintres