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s’inquiéter jamais ni de la vraisemblance, ni de la justesse des effets. À ce point de vue, il est le plus intransigeant des impressionnistes, et ses élèves, son frère le céramiste Kenzan, son admirateur enthousiaste Hoïtsu, n’ont pu que tempérer en les imitant les audaces de son style. Pourquoi donc nous est-il impossible de partager l’admiration des connaisseurs pour la peinture de cet homme singulier ? Peut-être y sentons-nous trop peu l’impression de la nature, trop peu aussi la recherche de l’élégance et de la pureté idéales. L’œuvre de Korin est l’œuvre d’un laqueur, qui n’a de souci que pour l’effet décoratif, et renverse, pour y parvenir, tous les obstacles qu’il rencontre. Ses figures d’hommes et d’animaux manquent d’expression ; son coloris, avec ses audaces, n’atteint jamais à la savante harmonie de ceux de Mitsounobou et de Sotatsou. Son nom mérite d’être joint à ceux des génies excentriques qui, par l’excès même de leur personnalité native, deviennent incapables de s’astreindre à mettre en pleine valeur ce qui est en eux de puissant et d’éternel[1].

Nous reprocherions au contraire son défaut de personnalité à une autre école non moins fameuse, l’école naturaliste ou Shijo, fondée vers 1750 par Okio, et représentée après lui par Tessan, Sosen, Keiboun et Hoyen. Esprit radical et soucieux de vérité, Okio se sépara de l’école de Kano, résolut de peindre directement les objets d’après nature, sans essayer de les embellir. Il a d’ailleurs été presque exclusivement un peintre de fleurs et d’animaux. Il n’a employé le paysage que pour décorer le fond de ses compositions, et la peinture de figures ne paraît pas lui avoir beaucoup réussi, non plus qu’à ses successeurs. Il a laissé une grande quantité de peintures où le réalisme est en effet poussé plus loin que dans les œuvres de l’école de Kano : ses grues, ses poissons, ses petits chiens, les biches et les singes de Sosen sont en outre des œuvres d’une délicatesse charmante, avec l’aisance gracieuse de leur dessin, le naturel de leurs attitudes, l’harmonieuse légèreté de leur coloris, où ne figurent plus l’or et les tonalités brutales de l’école de Tosa. Mais le naturalisme de l’école Shijo n’en est pas moins très superficiel, et sous les délicieux détails de la forme, jamais les élèves d’Okio n’ont su rendre comme les grands Kano la vie intime, le caractère profond des sujets représentés. Si Korin nous apparaît comme un simple décorateur, nous voyons dans les peintres de l’école Shijo quelque chose comme d’ingénieux photographes, habiles à varier les poses de leurs modèles, et à rendre dans tous leurs détails leur apparence extérieure.

  1. La revue japonaise Hokkwa vient pourtant de publier, dans ses dernières livraisons, des reproductions de peintures de Korin, qui, sans laisser d’être bizarres, ont une grandeur d’allure et une délicatesse de coloris tout à fait incomparables.