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quelquefois des scandales. Ce sont d’abord les professeurs qui ne s’aiment guère et ont grand’peine à bien vivre ensemble ; dans les examens, ils s’animent les uns contre les autres au feu de la dispute et finissent souvent par s’injurier. On fut un jour obligé d’en réprimander un qui avait dit à son collègue, devant les écoliers fort réjouis : tu es nebulo ! tu es asinus ! tu es bardotus ! Quelquefois c’est aux écoliers que les maîtres s’en prennent, mais les écoliers ne sont pas sans défense, et ils ont le moyen de mettre leurs professeurs à la raison. Tous les ans ils élisent un chef, le Procurator studiorum, comme on l’appelle, auquel s’adressent les camarades mécontens et qui se charge de leur faire rendre justice. Quand le professeur s’est permis quelque parole inconvenante contre ses élèves, comme, par exemple, de les appeler des ânes, le Procurator exige et obtient des excuses. Il surveille les examens et ne souffre pas qu’un maître « interroge de telle façon, avec paroles si injurieuses et si méprisantes, demandes si précipitables, action si violente et si tumultueuse, qu’il semble proprement vouloir intimider les écoliers et les repousser, en tant que luy est, de tous degréz et honneurs qu’ils pourroient prétendre. « Il tient surtout la main à la régularité des cours, et, si le professeur n’a pas fait, dans l’année, le nombre de leçons exigées[1], il a beau alléguer « une griefve maladie qui l’a contraint de garder le lit, » le Procurator le dénonce à l’assemblée de ses collègues et même s’arroge le droit de retenir ses appointemens.

Tous ces démêlés et d’autres encore, dont il serait trop long de parler, n’allaient pas sans troubler profondément la paix de l’université ; et pourtant, tandis qu’élèves et maîtres se disputaient les uns avec les autres ou entre eux, l’école de médecine n’en était pas moins florissante. Elle avait surtout ce caractère que sa renommée s’étendait très loin et qu’elle attirait à elle beaucoup d’étrangers. Il est dit déjà, dans un règlement de 1340, que « de toutes les parties du monde des jeunes gens viennent puiser à cette source de science, s’exilant de leur pays par amour d’elle, se faisant pauvres, de riches qu’ils étaient, et épuisant toutes leurs ressources, ejus amore exsules facti, et de divitibus pauperes, et semet ipsis examinatis. » Un de ces exilés volontaires nous a raconté en grand détail son voyage et son séjour : c’est un récit charmant, et comme rien ne nous fait mieux connaître la vie des étudians à cette époque, je demande la permission d’en citer quelques traits.

Félix Platter était le fils d’un pauvre professeur de Bâle, et son

  1. Par une délibération de 1738, les professeurs s’engagèrent à faire au moins quarante leçons dans l’année.