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avec la Femme au paon de M. Falguière. C’est que les qualités apparentes y sont de même ordre. Quelle est la pensée de M. Gérôme ? Nous l’avouons à notre honte, elle ne nous semble pas très claire. Une femme jeune, mais de seconde jeunesse, déjà mûrissante, pour mieux dire, si l’on en juge à certaines pesanteurs de ses formes, à certains affaissemens de ses carnations, est assise sur des débris de constructions, auprès d’une terre entr’ouverte, la tête droite, les jambes serrées, dans une attitude d’immobilité hiératique qui rappelle les déesses chaldéennes et égyptiennes. Dans la fouille béante à ses pieds, on voit sortir du sol quelques-unes de ces gracieuses statuettes qui ont rendu illustres les potiers-sculpteurs de Tanagra : une tête d’Athénienne enveloppée d’un voile, une Pallas casquée avec une cuirasse dorée. Elle-même, dans sa main gauche, elle tient une petite danseuse, aux vêtemens polychromes, qui passe la tête dans un cerceau. Est-ce la beauté moderne qui médite sur la beauté antique, une Parisienne qui regrette et qui envie la vivacité printanière et l’élégance naturelle de la Grecque ? Dans ce cas, la pensée de l’artiste eût gagné à être définie par quelque accessoire, un bout d’ornement ou de vêtement, ou un accent plus franchement moderne imprimé à la figure. Que signifie, au contraire, le contraste marqué entre l’attitude, tout archaïque, qui nous reporte à des temps bien antérieurs à la résurrection des terres cuites béotiennes, et l’exécution plastique, toute réelle et toute moderne, qui nous ramène, par ses raffinemens, vers des époques d’art moins simples et moins saines ? Quoi qu’il en soit, Grecque ou Parisienne, la dame potelée de M. Gérôme, comme la demoiselle nerveuse de M. Falguière, est nue, toute nue, et cette nudité, relevée et accentuée par une pointe de teintes roses habilement répandues sur le marbre moelleux et presque fondant, charme le public par le même aspect de réalité. Bien qu’on n’y sente pas la main d’un ouvrier si sûr, le fait est que certaines parties en sont traitées avec une souplesse délicate et rare. A peine peut-on regretter que, pour les attaches de ses poignets, la belle rêveuse ne ressemble pas davantage à ses sœurs de Grèce et qu’elle n’ait pas appris d’elles une façon de s’asseoir, en montrant le dos, moins pesante et moins écrasée. Ces accens, facilement donnés, d’un réalisme trop visible, sont plus faits pour séduire une minute les yeux par une sorte d’attrait sensuel que pour donner à une œuvre plastique la simplicité douce et grave qui la fixe d’une façon durable dans l’imagination.

La beauté voluptueuse et piquante, mais déjà fanée, d’hétaire asiatique que M. Gérôme donne à sa déesse de Tanagra n’est point celle, en vérité, qui éclate dans les statuettes de jeunes femmes,