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il faut reconnaître que, dans sa chute, elle ne se présente pas de tous les côtés d’une façon également claire au point de vue du mouvement ni satisfaisante au point de vue du rythme linéaire. L’exécution elle-même laisse quelque chose à désirer ; elle est un peu régulière, calme, froide pour la circonstance, elle ne donne pas à ce corps de femme hurlante, qui se tord et se démène sous un pied vainqueur, l’apparence expressive de muscles agités et de chair torturée. L’action du ciseau dans la matière joue un rôle important. Beaucoup de sculptures contemporaines perdent la moitié de leur valeur en passant de l’argile dans le marbre, parce que la transformation s’opère par la main de praticiens indifférens. Ce n’est pas le cas, sans doute, du Persée et la Gorgone, dont certaines parties sont traitées avec une sensibilité qui révèlent le toucher de l’artiste ; mais, dans une œuvre d’une si belle tenue et d’une si heureuse inspiration, on aimerait à trouver cette sensibilité répandue d’un bout à l’autre et partout égale à elle-même.

L’ouvrage de M. Puech, la Sirène, nous semble, parmi les groupes décoratifs, celui qui satisfait le mieux à toutes les exigences de l’imagination et de la technique. Le même sujet, une sirène enlevant un jeune homme, avait été déjà traité, avec un succès mérité, au Salon de 1874, par M. Aubé, peu connu alors. M. Puech semble s’être souvenu, en plus d’un endroit, du sentiment poétique avec lequel son prédécesseur avait disposé son groupe. C’était son droit, hâtons-nous de le dire : aucun des grands types, divins ou profanes, que la sculpture ou la peinture ont imposés à l’imagination humaine, n’a jamais été réalisé qu’à la suite de longs efforts successifs. Les meilleurs thèmes, dans les arts, sont presque toujours ceux qui sont devenus des lieux-communs, parce que l’artiste, n’ayant plus rien à expliquer de spécial et d’inattendu au spectateur, s’adresse plus directement et plus librement à lui par les qualités personnelles d’imagination et d’exécution dont il pénètre et remplit ce thème, afin de le renouveler, de le rajeunir, de le distinguer de tous les autres. Le groupe de M. Puech est mieux massé que n’était celui de M. Aube et présente à la fois une apparence plus ferme, plus décorative, plus dramatique. Comme dans le groupe de 1874, la sirène, s’élançant sur les vagues, retourne amoureusement la tête vers la proie volontaire qu’elle entraîne aux abîmes. Mais, si nous ne nous trompons, le jeune homme de 1874, mélancolique et maladif, se laissait emporter, comme un désespéré ou un résigné, comme un voluptueux de souffrance, sur la croupe du beau monstre, tandis que l’adolescent de 1890, tout jeunet et naïf, plein de vie et d’espoir, s’épouvante devant le grand inconnu, assis sur l’épaule blanche de la déesse, et cherche à se